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Full text of "Quelques dessous du procès de Rennes"

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Procjès 


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é  Rennes 


PARIS         I 

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Ami^.iï-,  Librairie  TRESSE  &  STOCK) 

JCrès  du    l'hf'i'  ■\iis.) 

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QUELQUES  DESSOUS 


DU 


PROCÈS   DE   RENNES 


Oc 


L'auteur  et  rédileur  déclarent  ré&erver  leurs  droits  de  traduction 
et  de  reproduction  pour  tous  pays,  y  compris  la  Suède  et  la 
Norvège.  ^ 

Ce  volume  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur  ^section  de  la 
librairie)  en  novembre  1900. 


DU   MEME  AUTEUR 


Femmes  et  Paysages,  vers. 

Le  P'tit,  roman. 

En  Amour,  roman. 

Notes  sur  Berlin. 

En  Auvergne. 

L'Auvergne. 

Le  Cœur  gros,  nouvelles. 

Celles  qui  passent,  nouvelles. 

La  Fille  Elisa,  pièce  tirée  du  roman  d'E.  de  Goncourt. 


Sous  le  Sabre. 
Les  deux  justices. 
La  Forêt  Noire. 


EMILE  COLIN,   IMPRIMERIE   DE   LAGNY   (S.-ET-M.) 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


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JEAN  AJALBERT 


QUELQUES  DESSOUS 


DU 


PROCÈS  DE  RENNES 


PARIS.  —  I 

P.-V.    STOCK,     ÉDITEUR 

(Ancienne  Librairie  TRESSE  &  STOCK) 

27,    RUE   RICHELIEU,    ET    16,    RUE    MOLIÈRE 

{Près  du  Théâtre- Français.) 

1901 

Tous  droits  de  traductioa  t't  dj  reproduction  réservés  pour  tous  les  pays, 
y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


Il  a  rlé  livi'^  à  parl^  douze  exemplaires  sur  papier 

du  Japon. 


PREFACE 


—  Ne  récriminons  pas. 

C'est  le  mot  dun  ministre^  sur  le  jugement 
de  Rennes. 

Hâtons-nous  de  ne  pas  souscrire  à  cet  avis  de 
politique  et  de  résignation... 

Oui,  on  essaie  de  justifier  : 

—  Vous  avez  Dreyfus ,  gracié.  Il  était 
acquitté,  moralement.,  par  les  inexplicables  cir- 
constances atténuantes.  La  réhabilitation  juri- 
dique est  en  chemin.  Rangez-vous  à  l'apaise- 
ment. Songez  à  l'Exposition,  Après  des  années 
aussi  crispées^  le  Pays,  ramassé  sur  soi^  a 
besoin  d^une  détente.,. 


—   VIII   — 

—  Et  laissons-nous  amnistier  des  crimes  de 
Mercier  et  de  ses  généraux  de  carnaval^  de 
prétoire  et  de  pronunciamiento ,  n  est-ce  pas  ? 


Le  général  de  Boisdeffi-e  et  le  capitaine  Anthoine. 

L oubli  l  Est-ce  que  ça  se  commande,  est-ce 
que  ça  se  promulgue  ! 

Avec  le  temps,  escomptez-vous?... 

Nous  assisterons  à  des  lassitudes^  à  des  glis- 
sements^ à  des  défections  ? 


—    IX    — 

Sans  doute. 

Mais  cela  n  entamera  pas  le  gros  des  parti- 
sans  de  la  justice^  de  ceux  qui,  selon  Pexpres- 
sionde  Michelet^  savent  «  vouloir  leur  volonté.  » 

Donc,  nous  nous  obstinerons  à  publier  les  mé- 
faits impunis  de  r Etat-Major,  tant  que  les 
hauts  criminels  continueront  de  reluire  au  soleil 
de  tout  Cor  de  leurs  képis,  tant  qu'ils  ne  seront 
pas  hors  d'état  de  nuire,  sous  le  rigide  écrou  de 
la  loi  : 

«  Nous  le  disions  hier,  nous  venons,  aujourd'hui, 
Le  redire,  et  demain  nous  le  dirons  encore...  » 

Le  général  de  Galliffet  méme^  à  la  Chambre, 
ministériellement.^  s'accuse  «  de  faiblesses  »  du- 
rant le  procès. 

Nous  ny  contredirons  pas. 

Eh  bien  !  il  faudrait  les  réparer  ? 

Au  contraire,  les  faveurs  du  chef  de  P armée 
se  déroulent  toutes  pour  les  officiers  les  plus 
suspects,  pendant  que  de  hideuses  représailles 
^exercent  contre  les  témoins  les  plus  irrépro- 
chables. 


—    X 


Et  tout  le  (jouvernement  se  fait  solidaire  de 
ces  vilenies. 

Impunément,  les  Judet  et  les  Sabatier-la 
Gourde  ont  pu  tronquer  les  textes  officiels  ou 
trafiquer  des  faux  pour  égarer  des  millions  de 
lecteurs^  pour  charger  délibérément  une  vic- 
time ? 

On  défère  à  la  Cour  d'assises  Urbain  Gohier^ 
F  écrivain  qui  dénonce  la  canaille  militaire. 

Alors  que  le  général  Mercier  préside  la  com- 
mission  du  monument  Henry ^  du  monument 
qu'ils  veulent  élever  à  l'un  des  plus  abjects  scélé- 
rats dont  l'Humanité  ait  été  souillée,  alors  que 
le  général  Mercier  pousse  la  bravade  jusqu'à 
poser  sa  candidature  au  Sénat,  —  c'est  le 
moment  choisi  pour  l'amnistie,  le  coup  de 
T  éponge,.. 

Tout  ce  qu'on  a  trouvé  pour  pallier  les 
«  faiblesses  »  avérées.  C'est  peu  et  c'est 
trop  ! 

Mais  que  l'insolence  des  grands  coupables^ 
exonérés  du  bagne,  jusqu'à  présent,  7ie  triomphe 
pas  par  trop.  Tôt  ou  tard,  il  fondra  sur  eux, 
T inéluctable  châtiment. 


—    XI    — 

Et  7101/s  ne  lo.issero)is  pas  presser  C éponge 
sans  y  mêler  quelque  ardent  vinaigre  : 

«  Ce  serait  une  erreur  de  croire  que  ces  choses 
Finiront  par  des  chants  et  des  apothéoses... ->> 

J.  A. 

19  novembre  1899. 


P,  S.  —  Cet  ouvrage  devait  paraître  il  y  a 
trois  mois. 

Encours  d'impression,  F  idée  vint  de  V  agré- 
menter de  quelques  images,  de  là,  un  long 
retardy  mais  non  sans  profit. 
.  U amnistie  peut  être  votée.  Nos  mémoires 
peuvent  péricliter.  On  ii  effacera  pas  ces  ins- 
tantanés d'août  1899,  respectueux  de  la  hiérar- 
chie, qui  nous  montrent  au  sommet  du  crime, 
les  Judet  en  à-parté  ou  en  conciliabule  avec  les 
Boisdeffre,  les  Billot,  les  Gonse,  les  Cavaignac, 
les  Roget,  les  Mercier,  et,  dans  les  bas-fonds^ 
les  Bonnamour  en  tête-à-tête  avec  Cernuçky. 


—    XII    — 

Les  bandits  et  leurs  aides  sont  sous  nos  yeux. 
Ils  ne  s'évaderont  pas  de  la  galerie  où  les  a  fixés 
le  juste  appareil.  Quand  ils  voudront  fuir  et  se 
jiiir  —  comme  au  cas  d' Ester hazy  quils  ne 
connaissent  plus  après  l'avoir  pressé  sur  leur 
cœur  —  ce  sera^  ici,  un  endroit  pour  les 
retrouver, 

J.  A, 
Février  1900. 

2*^  jP.  s.  —  Et  nous  voici  en  novembre. 
Quand  ce  volume  allait  paraître,  le  Théâtre- 
Français  brûla;  l'éditeur  qui  en  habitait  les 
galeries,  atteint  par  le  sinistre,  dut  surseoir  à 
ses  affaires  complètement  enrayées.  De  là,  tous 
nos  retards. 

Mais  le  général  Mercier  est  toujours  séna- 
teur, au  lieu  d'occuper  sa  place  au  bagne,  et 
ses  complices  jouissent  toujours  de  la  liberté. 
Ces  pages  ont  donc  toujours  leur  raison  de 
paraître. 

J.  A. 

Novembre  1900. 


QUELQUES  DESSOUS 


DU 


PROCÈS  DE  RENNES 


Dans  son  arrêt  du  3  juin  1899,  la  Cour 
de  cassation  disait  : 

«  Sur  le  moyen  tiré  de  ce  que  la  pièce 
»  secrète:  ((  Ce  canaille  de  D...  )),auraitété 
»   communiquée  au  conseil  de  guerre  : 

»  Attendu  que  cette  communication  est 
»  prouvée  à  la  fois  par  la  déposition  du 
»  président  Casimir-Perier  et  par  celles 
))  des  généraux  Mercier  et  de  Boisdefïre 
»   eux-mêmes  ; 

))  Que,  d'une  part,  le  président  Casimir- 
»  Perier  a  déclaré  tenir  du  général  Mer- 
))  cier  qu'on  avait  mis  sous  les  yeux  du 
»  conseil  de  guerre  la  pièce  contenant  les 

1 


2  QUELQUES  DESSOUS 

»  mots  :     «    Ce    canaille  de  D...     »    re- 

»  gardée  alors  comme  désignant  Dreyfus  ; 

»   Que,  d'autre  part,  les  généraux  Mercier 


General  Gonse.  M.   du  Breuil. 

M.  Couard. 

»  et  de  Boisdeifre,  imités  à  dire  s'ils  sa- 
»  vaient  que  la  communication  avait  eu 
))  lieu,  ont  refusé  de  répondre  et  qiiils  Font 
»  ainsi  reconnu  implicitement.   » 

Et  plus  loin  : 

»  Sur  le  moyen  concernant  le  borde- 
reau : 


DU  PROCÈS  DE  RENNES 


»  Attendu  qu'en  novembre  1898,  l'enquête 
»  a  révélé  l'existence  et  amené  la  saisie  de 
»  deux  lettres  sur  papier  pelure  quadrillé, 
»  dont  ï authenticité  n  est  IMS  douteuse ,  datées 
»  l'une  du  17  avril  1892,  l'autre  du  17  août 
»  1894,  celle-ci  contemporaine  de  l'envoi  du 
»  bordereau, /o?/^^^  deux  émanant  d\oi  antre 
»  officier  qui,  en  décembre  1897,  avait  expres- 
»  sèment  nié  s'être  jamais  serv  depapier 
»  calque, 
•     •••      •••••      ••••• 

»  Attendu  que  ces  faits  inconnus  du  conseil 
»  de  guerre  qui  a  prononcé  la  condamnation 
»  tendent  à  démontrer  que  le  bordereau  nau- 
»  rait  pas  été  écrit  par  Dreyfus  ; 

»  Quils  sont  de  nature,  par  suite,  à  établir 
»  T innocence  du  condamné  ; 

D  Casse  et  annule,  etc.,  et  renvoie  l'accusé 
devant  le  conseil  de  guerre  de  Rennes,  A  CE 
DÉSIGNÉ  PAR  DÉLIRÉRATION  SPÉ- 
CIALE PRISE  EN  CHAMRRE  DU  CON- 
SEIL...   » 


QUELQUES  DESSOUS 


*  * 


Le  choix  de  Rennes. 

La  Cour  de  cassation  croyait  renvoyer 
le  capitaine  Dreyfus  devant  un  conseil  de 
guerre  quelconque. 

Elle  l'expéd'ait  bonassement  dans  une 
ville  qu'auraient  élue,  devant  un  tribunal 
qu'auraient  choisi  les  accusés  :  je  parle  du 
général  Auguste  Mercier,  du  général  Le 
Mouton  de  Boisdeffre,  et  de  leurs  com- 
plices. 

Dans  le  môme  arrêt  qui  réhabilitait  le 
capitaine  Dreyfus,  la  Cour  de  cassation 
marquait  le  général  Auguste  Mercier  pour 
le  bagne  ;  la  main  du  gendarme  n'avait  qu'à 
s'abattre  sur  l'épaulette  du  bandit. 

Il  paraît  que  l'heure  n'était  pas  sonnée; 
on  accordait  terme  et  délai  à  cet  effroyable 
débiteur  de  la  justice. 

Il  devait  mettre  le  temps  à  profit  pour 
contracter  de  nouveaux  méfaits. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  5 

Après  le  jugement  de  1894,  après  le  sau- 
vetage d'Esterhazy,  après  la  condamnation 
de  Zola,  après  l'emprisonnement  du  colo- 
nel Picquart,  après  les  forfaitures  et  les 
faux,  les  mensonges,  les  impostures,  les 
vilenies  et  les  iniquités  de  cinq  années 
pour  murer  l'innocent  à  l'ile  du  Diable,  le 
grand  chef  et  ses  tristes  satellites  ne  de- 
vaient pas  désarmer. 

Comme  ils  avaient  paré  le  coup  Henry, 
après  le  désarroi  de  quelques  jours  qui 
suivit  sa  mort,  ils  allaient  se  relever  de 
l'arrêt  de  la  Cour. 

Il  s'agissait  de  sauver  leurs  os,  désor- 
mais, et  non  plus  seulement  leurs  plumes 
d'autruche  et  leurs  feuilles  de  chêne.  Ils 
s'y  employèrent,  on  devine  ! 

,  Si  le  général  Auguste  Mercier  avait 
prêté  à  l'expédition  de  Madagascar  la  moin- 
dre parcelle  du  génie  de  tactique  qu'il 
développa  pour  la  campagne  de  Rennes,  — 
il  n'y  aurait  pas  à  pourrir  sur  la  route  de 
Majunga  les  cadavres  de  sept  mille  Fran- 
çais. Ici,  rien  ne  fut  laissé  au  hasard... 


QUELQUES  DESSOUS 


* 
*  * 


C'est  par  délibération  en  chambre  du 
conseil  que  Rennes  est  désigné... 

Par  les  magistrats  ?  Non. 

Ils  manquaient  de  lumières  pour  saisir 
un  nouveau  conseil  militaire.  (Et,  à  moins 
de  vouloir  faire  recondamner  immanqua- 
blement l'homme  que  leur  arrêt  acquittait, 
Rennes,  foyer  sauvage  de  réaction  et  de 
cléricalisme,  est  la  dernière  ville  qu'ils 
eussent  nommée.) 

Par  le  gouvernement  —  d'accord  avec  la 
Cour  de  cassation. 

Dès  lors,  parle  ministère  de  la  guerre  — 
à  qui  devait  s'en  remettre  le  gouvernement. 

C'est-à-dire,  par  les  créatures  de  Mer- 
cier, de  BoisdeiYre  et  de  leur  forte  bande, 
qui,  tenant  le  ministère  de  la  guerre,  sous 
Krantz,  comme  sous  Freycinet,  comme  sous 
Chanoine,  comme  sous  Zurlinden,  Cavai- 
gnac  et  Billot,  n'allaient  pas  se  désintéres- 
ser des  choses,  en  l'occurrence... 


DU  PROCÈS  DE  RENNES 


Il  apparaît  nettemoiiL  que  Rennes  ne  fut 
pas  tiré  au  sort,  que  Rennes  fut  soutiré  sa- 
vamment et  prestement  au  choix  gouverne- 
mental. 


Le  (jè  né  rai  Davlgnon. 
Tenants  et  aboutissants. 


En  effet,  pas  plus  que  la  Cour  de  cas- 
sation, le  ministre  Krantz  ne  pouvait  être 
d'une  compétence  bien  pénétrante  en  ce  qui 
regarde  les  conseils  de  guerre.  Comme  ses 
prédécesseurs,  fatalement,  il  s'appuya  sur 
son  entourage,  sur  un  personnel  que  le 
général  Mercier  pouvait  utiliser  comme  le 
sien  propre. 

Les  ministres  précédents  avaient  installé 
leur  confiance  dans  Henry. 

Lui,  Krantz,  logeait  la  sienne  dans  le 
général  Davignon  —  béquille  aujourd'hui, 
encore,  de  Galliffet. 


QUELQUES  DESSOUS 


Or,  le  général  Davignon,  c'était  toujours 
un  peu,  — même  beaucoup,  —  Henry. 
C'était  toujours  Renouard  et  Boisdefîre. 
Davignon,  c'était  Mercier. 
Davignon,  c'était  Rennes. 


Qu  e  l'on  veuille  bien  me  suivre  à  travers 
cette  forêt  rouge,  sans  crainte  de  s'égarer 
parmi  le  fouillis  de  détails  où  il  faut  s'a- 
venturer; je  connais  les  chemins,  nous  re- 
viendrons vite  à  la  lumière. 

Oui,  le  général  Davignon  était  de  ce 
grouillement  interlope,  Henry,  Renouard, 
Boisdeffre,  Mercier  —  et  les  bandits  pou- 
vaient compter  sur  son  fervent   concours. 

H  faut  remonter  au  Seize  Mai  pour  cap- 
ter les  sources  de  la  fortune  imprévue  de 
Renouard  et  d'Henrv. 

C'était  à  Bourges.  Le  lieutenant  d'infan- 


DU  PROCES  DE  RENNES  9 

terie  Henry,  le  capitaine  d'Etat-Major  Re- 
nouard,  fréqnentaient  dans  les  maisons  du 
commandant  Mercier,  directeur  de  l'Ecole 
de  Pyrotechnie,  et  du  général  de  brigade  de 
Miribel,  —  tous  deux  de  l'artillerie,  tous 
deux  du  même  âge. 

Le  président  du  Conseil  de  coup  d'Etat 
Rochebouët  désigne  comme  chef  d'Etat- 
Major:  Miribel,  homme  à  tout  faire. 

Miribel  emmène  de  Bourges,  comme 
hommes  de  confiance,  le  capitaine  d'état- 
major  Renouard,  et  le  lieutenant  Henry, 
dont  il  avait  fait  son  officier  d'ordon- 
nance. 

Henry,  fils  du  garde  champêtre  de 
Pogny,  est  du  plus  mesquin  avenir.  Sans 
fortune,  il  sait  tout  juste  lire,  écrire  et  comp- 
ter, et  ne  rachète  pas  ce  manque  total  d'ins- 
truction par  une  intelligence  supérieure; 
c'est,  de  toutes  façons,  un  pauvre  hère. 

Renouard,  —  sans  fortune,  non  plus,  avec 
quatre  enfants,  —  promettait  davantage. 
Cependant,  pour  lui,  aussi,  les  perspectives 
semblaient  limitées.  Des  deux  catégories, 

1. 


10  QUELQUES  DESSOUS 

brillante  ou  terne  :  les  aides  de  camp  et 
les  officiers  de  bureau,  le  capitaine  Re- 
nouard  appartenait  à  la  seconde.  C'était  le 
bon  olTicier  de  l'ancien  corps.  Il  ne  connais- 
sait pas  de  langues  étrangères. 

Bref,  Henry  et  Renouard  ne  pouvaient  se 

recommander    à    Miribel    que    par     leur 

dévouement  à  sa  personne  et  à  ses  intérêts. 

Déjà,  avant  le  Seize  Mai,  Renouard  lui 

faisait  ses  besognes. 

Au  Seize  Mai,  Henry  et  Renouard  furent 
sesaiïidés;  ils  travaillaient  aux  préparatifs 
du  coup  d'État.  Ce  sont  Henry  et  Renouard 
qui  eurent  à  recopier  les  ordres  les  plus 
graves. 

A  la  reculade  de  Mac-Mahon,  à  la  dispa- 
rition de  Rochebouët,  Miribel  s'évanouit, 
pour  quelque  temps  dans  l'ombre.  Mais  il 
lui  fallait  caser  ses  acolytes. 

Ce  fut  assez  facile  pour  Renouard,  que 
l'on  introduisit  dans  un  bureau  de  l'État- 
Major.  Voilà  le  point  de  départ  du  brillant 
avenir  de  celui-ci. 

Le  cas  d'Henry  était  plus  malaisé.  On  lui 


DU  PliOCÈS  DE  RENNES  II 

lit  un  coin  à  cotédeWALSIN-ESTERHAZY 
et  de  Weil,  au  service  des  renseignements. 

D'ailleurs,  la  dette  de  Miribel  devait  être 
assez  élevée,  et  son  créancier  ne  lui  en  fît 
pas  remise.  Plus  tard,  Henry,  aux  zouaves, 
faisait  passer  ses  blessures  de  chasse  pour 
des  campagnes.  En  1890,  au  choix,  fantas- 
tiquement, Miribel  le  poussait  au  grade  de 
chef  de  bataillon.  Et,  de  plus,  Miribel 
s'adressait  au  général  de  brigade  Gallimard, 
directeur  de  l'infanterie,  — pour  le  prier  de 
détacher  Henry.  Mais  le  règlement  s'y  op- 
posait absolument  :  il  fallait  deux  ans  de 
fonctions  de  major.  Le  général  Gallimard 
dut  dresser  toute  son  énergie,  contre  l'in- 
sistance de  Miribel.  Il  dit  non,  catégori- 
quement, —  et  il  a  payé  son  refus  d'un  re- 
tard d'avancement  énorme  —  inversement 
proportionnel  à  la  montée  d'Henry. 

Cependant  Henry,  nommé  major,  est  en- 
voyé au  120*^,  à  Péronne,  qui  dépend  d'A- 
miens, où  commande  alors,  le  général  de 
division  Mercier. 

Et  le  ministre  Mercier  retrouvera  encore 


12  QUELQUES  DESSOUS 

Henry,  au  bureau  des  renseignements. 
Nous  tenons  bien,  n'est-ce  pas,  le  couple 
Henry-Renouard,  et,  ne  puis-je  pas  dire, 
une  sorte  de  ménage  à  trois, avec  Mercier? 
à  travers  toutes  les  intrigues  de  sérail  du 
baut  commandement,  où  Renouard,  où 
Henry,  depuis  Bourges,  depuis  le  Seize 
Mai,  depuis  Miribel,  sont  traités  en  favoris, 
dans  une  scandaleuse  ascension  parallèle. 
On  n'a  jamais  pu  làcber  Henry.  Depuis  la 
préparation  du  coup  d'Etat,  depuis  Bour- 
ges, depuis  Miribel,  c'a  toujours  été  wi  ca- 
davre—  jusqu'au  Mont-Valérien  où  ses  pa- 
trons, enfin,  purent  souffler,  —  tout  en  le 
couvrant  de  bouquets,  (Madame  la  générale 
Renouard  expédie,  la  première,  des  fleurs,) 
—  en  célébrant  son  patriotisme  de  faus- 
saire, et  en  reniant  sa  veuve. 


xV  présent,    il   est  commode    de    relier 
Davignon  à  Henry,  à  Renouard.  à  Mercier, 


et  Bourges  à  Rennes. 


DU  rnocÈs  de  rennes  13 

Renouard,  chef  du  1^  bureau  de  l'état- 
major  général  prend  le  lieutenant-colonel 
Davignon  comme  sous-chef  de  bureau. 

Promu  colonel,  (le  môme  jour  que  Roget 
—  ils  avaient  intrigué  ensemble  pour 
l'avancement)  Davignon  va  commander  pen- 
dant deux  ans  le  95%  à  Rourges, 

Et  c'est  Renouard  qui  fait  venir  ensuite 
Davignon  à  l'École  de  guerre,  à  Paris, 
comme  commandant  en  second. 

Et  Davignon  devient  l'âme  damnée  de 
Renouard,  comme  celui-ci  le  fut  de  Miri- 
bel,  avec  Henrv. 

Quand  RoisdefTre  part,  c'est  Renouard 
qui  est  promu  chef  d'État-Major 

Le  compte  y  est-il,  les  cinq  doigts  de  la 
main  :  Mercier,  Henry,  Renouard,  Rois- 
deffre,  Davignon? 


ïj- 
*  * 


Davignon,  c'est  Rennes,  aussi. 
Nommé   général  de   brigade,   Davignon 
passe  à  Rennes.  Pourquoi  Rennes  de  préfé- 


14  QUELQUES  DESSOUS 

rence,  non  de  hasard  ?  Parce  qu'il  y  a  là^ 
pour  commandant  de  corps  d'armée,  le  gé- 
néral Lucas  (1)  —  sous  qui  Davignon  avait 
servi  à  Bourges  ! 

C'est  de  Rennes,  où  il  reste  quatre  ou 
cinq  mois,  que  Krantz  succédant  à  M.  de 
Freycinet  tire  Davignon  comme  chef  de  ca- 
binet, —  de  Rennes  où  Davignon  ne  s'est 
pas  fait  remplacer,  où  il  a  conservé  son  ha- 
bitation, où  il  entend  retourner. 

Il  s'y  est  ménagé  les  plus  puissantes  rela- 
tions, mondaines,  religieuses,  militaires, 
politiques.  Il  y  a  semé  les  décorations  et  les 
nominations,  aujourd'hui,  sous  Galliffet, 
comme,  hier,  sousKranlz,  les  dupant  l'un 
et  l'autre.  Une  s'est  pas  oublié  dans  les  dis- 
tributions. Il  s'est  fait  cravater  comman- 
deur, après  le  procès.  Désormais,  il  n'a 
plus  rien  à  pécher  dans  les  eaux  troubles 

(1)  Davignon-Galliffet  viennent  de  nommer  le  général 
Lucas  inspecteur  d'armée.  C'est  ce  général  Lucas,  qui 
fit  supprimer  le  service  de  Y  Avenir  de  Renne.'i,  au  cer- 
cle militaire,  pendant  le  procès.  Ce  journal  avait  le 
tort  de  donner  le  compte  rendu  impartial  des  au- 
diences. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  15 

du  ministère.  Aussi  ne  se  gêne-t-il  plus. 
Par  exemple,  il  a  escamoté  le  ruban  de  la 
Légion  d'honneur  à  Galliffet  pour  Lauth, 
le  louche  témoin,  vingt  fois  convaincu 
d'atroce  mensonge.  Il  risque  de  se  faire 
casser  aux  gages?  mais  il  ne  cherche  que 
cela  —  réintégrer  Rennes  —  où  il  sera 
proposé  comme  général  de  division...  (1). 
Ainsi,  peut-on  comprendre  pour  qui,  et 
pourquoi  sous  le  ministère  Davignon-Krantz, 
fut  insinué  le  choix  de  Rennes,  lorsque  la 
Cour  de  cassation  interrogea,  sur  le  lieu  de 
renvoi,  le  gouvernement,  le  ministère  de  la 
guerre... 


^  * 


U atmosphère  de  Rennes, 

Donc,  à  la  minute  où  la  Cour  de  cassa- 
tion acculait  le  général  Auguste  Mercier 
à  toutes  extrémités,  à  l'instant  où  l'on  pou- 

(1)  Cette    phrase    était  écrite   avant   les  mutations 
dans  le  haut  commandement  à  Rennes. 


IG  QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCES  DE  RENNES 

vait  parler  de  sa  fuite  en  Angleterre  comme 
certaine,  une  chance  considérable  s'offrait 
à  lui. 

Il  fautdire  qu'il  la  saisit  immédiatement, 
par  la  manche  des  généraux  amis. 

11  ne  songea  plus  qu'à  se  battre,  sur  le 
magnifique  champ  de  bataille  qu'on  lui  ac- 
cordait. 

N'était-ce  pas  la  moitié  de  la  victoire, 
déjà,  que  de  pareils  avantages   de  terrain? 


Rennes  ! 

Le  général  Mercier  et  sa  bande  y  avaient 
assuré  déjà  leurs  positions,  que  l'on  hési- 
tait encore  où  faire  atterrir  le  capitaine 
Dreyfus,  —  qui  débarquait  la  nuit,  dans  la 
tempête... 

L'esprit,  l'atmosphère  religieuse  et  po- 
litique de  Rennes,  à  l'ordinaire,  il  est  inu- 
tile de  les  évoquer.  La  description  serait 
fastidieuse.  Quelques  traits  seulement 
d'août  1899. 


Le  retour  vers  la  maison. 


Mercier  fils,  Général  de  Saint-Germain,  Général  Mercier. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PliOCÈS  DE  RENNES     19 

Tandis  que  madame  Dreyfus  ne  trouvait 
pas  à  s'y  loger,  de  toutes  parts  on  offrait 
aux  généraux  le  vivre  et  le  couvert.  L'hospi- 
talité était  donnée  à  la  famille  Mercier  chez 
le  général  de  Saint-Germain,  en  retraite 
seulement  depuis  moins  d'un  an,  ayant  con- 
servé toutes  ses  relations  dans  l'armée, 
pendant  que  madame  la  générale  lui  pro- 
curait l'appui  de  la  société,  où  elle  est  très 
répandue  !  Rennes,  capitale  de  Bretagne, 
ville  de  nobles,  de  soldats  et  de  prêtres, 
chauffée  à  blanc,  et  à  rouge  !  Le  seul  en- 
droit de  France  où  ceci  pouvait  se  passer 
que,  M*"  Labori,  frappé  d'une  balle,  gisant 
sur  le  trottoir,  des  hommes  continuèrent 
leur  chemin,  sans  le  secourir,  détournant 
la  tête  de  son  appel. 

((  Lorsque  M*'  Labori  tomba,  rapporta 
))  M.  Claretie,  dans  le  Temps,  près  du  bec 
»  de  gaz  du  pont  de  Richemond,  à  quel- 
))  ques  pas  d'un  café  qui  devait  être  ouvert 
))  malgré  l'heure  matinale,  il  avisa,  lui 
»  étendu  à  terre  et  sanglant,  un  charretier 
»  qui  venait  de  son  côté  : 


20  QUELQUES  DESSOUS 

»  —  Je  suis  M*"  Labori,  lui  cria-t-il. 
»  Allez,  je  vous  en  prie,  dire  à  ma  femme 
»  que  je  suis  blessé  et  que,  si  je  meurs, 
))  c'est  en  pensant  à  elle  et  à  mes  en- 
»  fants  ! 

»  Le  charretier  regarda  le  blessé  : 

»  —  C'est  bon,  fît-il,  on  le  lui  dira! 

»  Et,  fouettant  ses  chevaux,  il  passa. 

»  Ce  n'est  pas  une  anecdote  inventée. 
))  C'est  un  fait  que  M"  Labori  a  raconté  lui- 
»  même. 

»  On  a  certainement  modifié  —  je  ne 
»  sais  comment  où  plutôt  je  le  sais  trop 
»  bien  —  le  tempérament  généreux  de 
»  notre  France.  Est-il  vrai  que  lorsque  le 
»  docteur  Brissaud  et  le  docteur  Reclus 
»  voulurent  trouver  des  porteurs  pour 
»  prendre  les  brancards  de  la  civière  afin 
»  de  transporter  de  la  villa  de  la  place 
»  Laënnec  où  il  était  trop  à  l'étroit  et  trop 
»  près  du  bruit,  comme  à  la  merci  des  vi- 
»  sites  et  du  reportage,  le  blessé,  hier 
»  soir  —  les  deux  dévoués  médecins  se 
»  heurtèrent  tout  d'abord  à  un  refus  à  la 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  21 

»  porte  où  ils  frappèrent?  Transporter 
»  quelque  part  un  blessé  qui  n'est  pas  de 
»  votre  opinion  est  un  acte  qui  exige  trop 
»  de  sacrifices.  Certaines  âmes,  parait-il, 
»  ne  peuvent  pas  s'y  résigner.  » 

Rennes  ! 

Voici  ce  qu'ailleurs  écrit  encore  M.  Cla- 
retie  : 

«  Voulez-vous  une  idée  de  ce  qu'on  pense 
»  à  Rennes?  Une  dame  intelligente  et  let- 
»  trée  me  disait,  le  plus  simplement  du 
»  monde,  en  parlant  de  M.  Rasch,  le  pro- 
»  fesseur  de  littérature  étrangère  à  la  Fa- 
))  culte  des  lettres,  chez  qui  est  M""  Labori, 
»  en  une  chambre  occupée  jadis,  me  dit- 
»  on,  par  Louis-Napoléon  Ronaparte,  avant 
»   son  élection  à  la  présidence  : 

»  —  M.  Rasch?  C'est  un  érudit,  soit, 
»  mais  c'est  un  Allemand  ! 

»  —  Comment,  un  Allemand? 

))  —  Oui,  sans  doute.  Regardez,  quels 
))  sujets  choisit-il  pour  ses  leçons?  Ibsen 


22  QUELQUES  DESSOUS 

»  et  Nietszche.  Je  sais  bien  qu'Ibsen  est 
»  norvégien.  Mais  Nietszche!  Et  cette  an- 
»  née,  quel  est  le  sujet  de  son  cours,  le 
»  savez-vous  ? 

»  —  Non. 

))  —  GœthC;,  monsieur!  C'est  de  Gœthe 
»  qu'il  entretient  la  jeunesse  de  Rennes  ! 

»  Je  l'ignorais.  Peut-être  est-ce  bien 
»  parce  que  la  tradition  veut  que  Gœthe 
»  mourant  ait  demandé  «  plus  de  lu- 
))  mi  ère  ». 

Et  la  jeunesse  réactionnaire  de  Rennes 
avait  assailli  l'amphithéâtre  du  professeur, 
hurlant  et  saccageant  tout;  des  bandes 
armées,  de  plus  de  mille  personnes,  ten- 
taient de  forcer  le  portail  de  la  maison,  se 
livraient  à  une  véritable  tentative  d'assas- 
sinat, sans  que  la  police  bougeât.  Tous  les 
pouvoirs  publics,  haute  administration,  ma- 
gistrature, approuvaient  les  perturbateurs 
—  à  la  tête  desquels  s'illustraient  les  fils 
du  Procureur  général,  d'un  Président  de 
Chambre  et  d'un  conseiller  à  la  Cour  --  et 
les  acclamaient  comme  des  héros  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  23 

Rennes  !  Toute  férocité  peut  s'y  allier  à 
toute  stupidité! 

Chez  monsieur  C...,  conseiller  général, 
maire  d'une  commune  des  environs  de  Ren- 
nes, ancien  député  monarchiste,  le  général 
Roget  et  d'autres  témoins  militaires,  en 
compagnie  de  personnalités  réactionnaires 
et  boulangistes,  levaient  leur  coupe  de 
Champagne  «  à  la  condamnation  du  traître  ». 

Et  il  peut  circuler  des  légendes  telles 
que  celles-ci,  proposées  par  la  superstition 
bretonne  ;  une  horizontale  rennaise,  Louise 
G***,  entraînée  par  des  juifs  et  des  drey- 
fusards —  ils  l'ont  grisée,  l'ont  fait  con- 
sentir à  vendre  son  âme  au  Diable,  et  le 
pacte  allait  être  signé  avec  une  plume  de 
poule  noire,  trempée  dans  le  sang  de  la 
victime  quand,  dégrisée,  elle  recula  et 
s'enfuit... 


Rennes,  où   un   gamin   de  sept  ans,  au 
mot:  (/ jeté  par  un  autre,  disait:  «  Les 


24  QUELQUES  DESSOUS 

chrétiens  n'ont  pas  de^....,  il  n'y  a  que  les 
chiens  et  les  dreyfusards  !  » 

Rennes  d'où  le  capitaine  Gonthier  chas- 
sait son  ordonnance,  parce  qu'il  avait  aidé 
à  servir  aux  Trois- Marches l  L'humble  au- 
berge fut  bientôt  réputée  le  lieu  des  pires 
sabbats  ! 

—  Moi,  qui  vous  prenais  pour  une  brave 
femme,  je  vous  retire  mon  estime,  ainsi  le 
général  de  Saint-Germain,  son  voisin  d'en 
face,  apostrophait  la  patronne,  madame 
Jarlet!... 

Entre  mille  autres,  ces  quelques  me- 
nus traits,  d'une  si  violente  signification, 
disent  assez  l'état  des  esprits  rennais.  Plus 
que  les  anecdotes  dispersées,  un  vœu 
du  Conseil  2:énéral  d'Ille-et- Vilaine  ins- 
truira  les  lecteurs  incrédules.  Ce  vœu,  de 
décembre  dernier,  trois  mois  après  le 
procès,  avait  pour  but  :  «  d'exprimer  à 
M.  le  général  Mercier^  le  regret  que  ce  ne  soit 
pas  le  département  d'I lie -et- Vilaine  qui  ait 
r honneur  de  l'élire  aux  élections  sénatoriales.  » 

Ses  représentants  ont  traduit  ici  les  sen- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  25 

timents  de  la  région.  Rien  à  ajouter  à  cela. 
A  Rennes  !  avec  le  général  de  Saint-Ger- 
main, Mercier  eut  le  sort  favorable,  en 
plus,  de  rencontrer  le  général  JuUiard, 
commandant  la  brigade  d'artillerie  —  chef 
immédiat  des  juges  artilleurs,  qui  les  note, 
qui  les  fait  avancer,  chef  plus  immédiat 
encore  du  colonel  Rrongniart,  directeur 
de  l'Ecole  d'artillerie  de  Rennes. 


Les  Saint- Germain. 

Le  général  de  Saint-Germain  hébergeant 
le  général  Mercier  et  ses  fils,  cela  rensei- 
gne assez.  Mais,  après  tout,  il  eût  pu 
n'avoir  pour  lui  que  de  l'amitié ,  ou 
de  la  reconnaissance,  ou  de  la  défé- 
rence, ou  de  la  pitié  —  et  l'hospitaliser 
sans  approuver  son  rôle  dans  le  procès.  Il 
n'en  était  pas  ainsi.  Le  général  de  Saint- 
Germain  n'a  laissé  ignorer  ses  opinions  à 

2 


20   orELorr.s  dessous  du  puoces  de  rexxes 

personne.  11  accompagnait  Mercier  au 
Lycée,  et  s'en  retournait  avec  lui.  Pen- 
dant les  séances,  le  général  de  Saint - 
Germain  était  derrière  les  juges  sup- 
pléants, au  troisième  rang,  sur  l'estrade, 
derrière  le  capitaine  Beauvais  ainsi  qu'on 
le  peut  constater  sur  la  première  photogra- 
phie de  notre  livre.  Très  petit,  bossu, 
appuyé  sur  sa  canne,  aussi  haute  que  lui 
assis,  ce  Tom-Pouce  ne  dérageait  pas,  scan- 
dant de  :  «  Canaille,  misérable,  bandit, 
crapule  >v,  non  à  demi-voix,  mais  à  presque 
haute  voix,  les  dépositions  à  décharge. 

(^Quant  à  Madame  de  Saint-Germain,  elle 
allait  en  ville,  propagandiste  elYrénée,  à 
qui  Von  doil.  peut-être,  le  verdict  de  cul- 
pabilité, par  ses  démarches  audacieuses  de 
la  dernière  heure,  entre  les  deux  audiences 
de  la  journée  du  9  septembre.) 

Le  général  de  Saint-Germain,  sous-chef 
d'Etat-Major  avec  BoisdetTre  sous  Miribel, 
avait  été.  à  la  !ln  de  1881.  chef  du  3"  bureau 
d'Etat-Major.  toujours  sous  Miribel. 

Et    le    o:énéral   de    Saint-Germain  avait 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     20 

présidé  le  conseil  crenquete  qui  a  mis  le 
colonel  Picquart  en  réforme! 

(Conseil  d'enquête  où  la  majorité  contre 
le  colonel  Picquart  était  formée  d'avance  ; 
c'étaient  Boisdeffre  et  Gonse  qui  portaient 
plainte   contre    leur    ancien    subordonné! 

Ça  ne  traîne  pas!  Le  général  de  Saint- 
Germain,  à  ce  conseil  d'enquête,  refuse 
toute  communication  de  pièces  et  toute 
confrontation  de  témoins.  Le  président 
Jouaust,  lui-même,  à  comparer,  semble 
piètre... 


*  ',' 


Le  (je  né  rai  Jalliard  et  le  Cercle, 

Les  tendances  du  général  JuUiard  n'é- 
taient pas  moins  certaines.  Il  les  avait  ma- 
nifestées partout,  à  tout  propos. 

En  juin  1899,  il  fut  inspecteur  général 
de  la  3^  brigade,  à  Versailles. 

Quand  le  général   commandant    la  bri- 

2. 


30  QUELQUES  DESSOUS 

gade  se  présenta  à  lui,  le  général  JuUiard 
ne  put  s'empêcher  de  le  tâter  sur  l'Affaire  : 

—  Eh  bien,  y  a-t-il  beaucoup  de  ces 
sales  dreyfusards  dans  vos  régiments  ? 

—  Il  y  en  a  quelques-uns,  à  la  tête  des- 
quels je  vous  prie  de  me  ranger,  répliqua 
l'autre. 


Avant  de  commander  la  brigade  d'artil- 
lerie de  Rennes,  le  général  Julliard  était  le 
collègue  du  général  Deloye,  au  ministère. 

Julliard  était  chef  du  bureau  du  person- 
nel, Deloye,  chef  de  bureau  du  matériel. 

Et  Deloye  fut  le  second  de  Mercier  à  la 
Cour  de  cassation. 

A  Rennes,  le  général  Mercier,  le  général 
Deloye,  le  général  Julliard  devaient  former 
la  plus  étroite  Trinité  —  qui  fut  le  Deus 
ex  machina  des  audiences. 

Le  général  Mercier  travaillait  à  l'inté- 
rieur, tandis  que  le  général  Julliard  faisait 
les  officiers,  le  Cercle  militaire.,. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  31 


Nous  ne  sommes  qu'au  début.  Mais,  rien 
qu'avec  cela,  peut-on  s'étonner  que  les 
promenades  du  général  Mercier  fussent 
triomphales,  ainsi  présenté  en  liberté,  alors 
qu'il  n'eût  dû  marcher  qu'entre  deux  gen- 
darmes? 

La  voiture  du  général  de  Saint-Germain, 
à  fréquentes  reprises,  l'après-midi  dans 
ses  promenades,  était  conduite  par  un 
artilleur  en  uniforme,  un  premier  sol- 
dat, —  h  qui  ni  l'hôte  ni  l'invité  n'avaient 
droit,  d'ailleurs. 


Et  tout  cela  n'a  pas  choqué  autrement 
Davignon-GallifTet  qui  viennent  de  nom- 
merle  général  J uWidir d  divisminaire,  en  oc- 
tobre 1899. 


32  QUELQUES  DESSOUS 


♦  ♦ 


(Par  contre,  le  trésorier-payeur  général 
Gnéronlt,  sorti  de  Polytechnique,  dans  la 
promotion  de  Julliard,  qui  n'était  donc  pas 
un  inconnu  pour  lui,  a  été  mis  à  la  retraite 
d'office. 

Est-il  nécessaire  d'imprimer  qu'il  n'abon- 
dait pas  dans  le  sens  de  Julliardet  du  Tout- 
Rennes,  sur  l'honneur  de  l'armée,  et  l'in- 
nocence du  général  Mercier  ?) 


On  peut  concevoir  tout  de  suite  l'action 
importante  du  général  Julliard,  à  Rennes  : 
il  est  de  la  promotion  du  colonel  Jouaust. 


Mais  le  général  Julliard  ne  se  contentait 
pas  d'agir  seul.  Il  avait  des  agents  qui  fonc- 
tionnaient au  vu  et  au  su  de  tous. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  33 

C'étaient  le  lieiitenaiit-coloiielFarinaux, 
et  l'officier  d'ordonnance  capitaine  Guède. 


Le  lieutenant-colonel  Farinaux,  sous- 
chef  d'état-major  de  Lucas,  est  de  la  pro- 
motion de  Brongniart  et  Gouhard,  mem- 
bres du  conseil  de  guerre. 

Farinaux  est  le  protégé  du  général  de 
Négrier.  Le  lieutenant-colonel  Farinaux  a 
agi  de  façon  scandaleuse.  G'est  lui  qui  pro- 
posa de  mettre  en  quarantaine  tous  les  offi- 
ciers qui  se  refusaient  à  partager  le  délire 
de  la  majorité  contre  Dreyfus. 


* 

*  * 


Le  lieutenant- colonel  Farinaux  vient 
d'être  remboursé  de  ses  services,  par  Davi- 
gnon-Gallifîet.  Par  une  mutation  des  plus 
rares,  pour  laquelle  il  a  fallu  l'agrément 
très  exprès,  l'acceptation  du  général  Re- 
nouard,  le  lieutenant-colonel  Farinaux  vient 


34  QUELQUES  DESSOUS 

d'être  envoyé  à  Nantes,   pays  de  madame 
Fai'inaux,  comme  sous-chef  d'Etat-Major... 


Le  capitaine  Guède  était  de  la  promotion 
de  Beauvais  et  de  Parfait  qu'il  n'a  pas 
quittés  d'une  semelle,  les  chambrant  au 
Cercle. 

Auparavant,  il  n'y  allait  jamais,  pas  plus 
que  le  lieutenant-colonel  Dieudonné,  chef 
d'état-major  de  JuUiard  Ils  y  furent  assi- 
dus, tout  le  long  des  débats... 


* 
*  * 


Au  même  cercle,  opéraient  les  fils  de 
Mercier,  OFFICIERS,  —  qui,  par  consé- 
quent, ne  devaient  pas  séjourner^  à  Rennes, 
pendant  le  procès. 

Ainsi  en  avait  décidé  Galliffet,  pour  toute 
l'armée. 

Mais  exception  fut  faite  pour  les  fils 
Mercier. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  35 

Par  autorisation  spéciale  de  Galliffet,  ils 
purent  assister  leur  père. 

Il  y  a  peut-être  lieu  de  penser  que  la 
marche  du  procès  ne  les  laissait  pas  indif- 
férents. 


* 

*  ♦ 


Le  commandant  Ravary,  entre  deux  cu- 
lottes dans  les  tripots,  a  pris  la  peine  de 
formuler  une  fois  que  : 

«  La  justice  militaire  n'est  pas  la  môme 
que  l'autre.  » 

C'est  exact,  ici  plus  que  partout,  et  que 
jamais. 

Tout  est  mis  en  œuvre  pour  fausser  la 
frêle  balance  symbolique. 

Même  en  se  roidissant  de  tout  leur  cou- 
rage et  de  toute  leur  honnêteté  —  mais 
c'est  un  effort  dont  quelques-uns  préfére- 
ront se  dispenser —  les  juges  ne  seront  pas 
libres  ;  dirigés  à  l'audience,  à  leur  insu,  par 
l'implacable  hiérarchie,  tout  yeux,  tout 
oreilles,  tout  cœur  pour  les  généraux,  et, 


36  QUELQUES  DESSOUS 

quand  ils  s'abandonnaient,  parfois,  à  l'évi- 
dence, vite  repris,  étreints  au  dehors,  li- 
gottés  par  la  famille,  la  direction  occulte 
du  confessionnal,  le  milieu  —  avec  les  ca- 
marades sincères  ou  intéressés  qui  rumi- 
nent :  «  L'honneur  de  l'armée,...  et  que 
cinq  ministres  ne  se  trompent  pas,...  etque 
les  révisionnistes  sont  des  francs-maçons, .  . 
vendus  aux  juifs,  à  l'étranger,  etc.,  etc.  » 

Ici,  la  crédulité  des  gens  va  jusqu'à  la 
fable  de  «  la  vessie  de  Labori  ».  Malgré  le 
constat  des  médecins,  du  médecin  militaire 
même,  le  major  Renaud,  et  du  médecin- 
légiste  de  Rennes,  membre  de  la  Patrie 
Française,  M.  Perrin  de  la  Touche,  on  veut 
que  M^  Labori  n'ait  pas  été  blessé  :  le  sang 
provenait  d'une  vessie  cachée  sous  son 
gilet,  et  crevée  pendant  qu'on  tirait  sur  lui, 
sans  balle. 

Sur  la  déposition  du  commandant  Freys- 
teetter,  on  entend  un  capitaine  du  22^  d'ar- 
tillerie, portant  les  aiguillettes,  dire  :  «  Il 
faut  bien  que  Freystœtter  gagne  ses  cent 
mille  francs  !  » 


DU  PROCÈS  DE  RENNES 


37 


Dans  quelles  conditions  siégeaient  ces 
juges,  comparaissaient  certains  témoins, 
réunissant  à  peu  près  toutes  les  incapacités 
de  juger  ou  de  témoigner  édictées  par  les 
codes. 


Lieuten.int-Golonel  Jeannel         Général  Goiise 
et  CommaQdant  Maisire  et  M.  Ferret. 


Oh  !  le  serment  de  juger  sans  haine  et 
sans  crainte  —  imposé  aux  jurés  ! 

Ici,  l'on  ne  dépose,  l'on  ne  juge  que  sous 
la  coupe  des  frères  d'armes  et  des  su- 
périeurs, toujours  plus  ou  moins  par 
ordre. 

Sans  crainte  ! 


38  QUELQUES  DESSOUS 

Ici,  l'on  assassine  l'avocat  ! 

Oh  !  sans  haine  ! 

Au  treizième  siècle,  les  Romains  fai- 
saient dictateur  justicier  un  étranger, 
Brancaleone  Dandolo,  pour  étoufler  les 
factions  féodales  :  un  étranger,  pour  qu'il 
fût  pur  de  toutes  compromissions,  qui  pût 
jurer,  à  la  porte  de  la  ville  où  il  introdui- 
sait la  loi,  qu'il  n'y  avait  ni  parents  ni 
amis... 

Mais  nous  sommes  à  Rennes,  en  1899, 
devant  la  justice  militaire,  toutes  ses 
craintes,  toutes  ses  haines,  toutes  ses  col- 
lusions... 


* 
*  * 


Le  président  du  Conseil  de  guerre. 

Le  colonel  Jouaust  présidait  • —  si  l'on 
peut  dire. 

On  n'y  a  rien  compris,  à  cet  homme  — 
qui  a  fait  condamner  Dreyfus,    et   qui,  à 


DU  PROCÈS  DE  RENNES 


:vj 


présent,  est  mis  en  quarantaine  au  Cercle 
militaire  de  Rennes  ;  qui  a  conduit  sesasses- 


Capi'.  Juuck.         Archiv.   Giibelin.         Capit.  Besse.       Lieuts.-Cols.  Gendron. 
Comm.  Cuignet.  Comm.  Carrière,     et  Bertin-Mourot. 


seurs  du  conseil  de  guerre  à  voter  la  culpa- 
bilité, et  qui  s'est  prononcé  pour  l'inno- 
cence. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCES  DE  RENNES     41 

Car,  le  colonel  Joiiaust  est  l'un  des  deux, 
de  la  minorité  ! 

Car,  on  n'adresse  plus  la  parole  à  Jouaust, 
au  Cercle! 

Et,  le  9  septembre  même,  alors  que  le 
colonel  Jouaust,  lui,  deuxième  —  et  der- 
nier —  prononçait  :  Non,  quelqu'un  pou- 
vait s'écrier  : 

—  Mais  c'est  une  trahison,  après  la  ma- 
nière dont  vous  avez  mené  les  débats  ! 

Le  colonel  Jouausl,  d'autre  part,  se  la- 
mente d'avoir  été  trahi  in  extremis^  par  un 
autre  memJ)re  du  conseil  de  guerre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  gent  galonnée  de 
Rennes  le  tient  à  l'index. 

Au  milieu  d'octobre,  au  Cercle,  on  voyait 
Jouaust,  seul,  dans  une  encoignure...  Le 
général  JuUiard ,  Coupois,  entraient,  lui 
prenaient  les  journaux  sous  le  nez,  sans 
mot  dire... 

—  Est-ce  que  le  colonel  Jouaust  est  en 
quarantaine?  demande-t-onà  un  officier  su- 
périeur : 


42  QUELQUES  DESSOUS 

—  Oh  !  nous  n'avons  rien  décidé...  Mais 
nous  évitons  de  lui  parler. . . 


Comment  expliquer  ce  jugement,  de 
Jouaust,  après  ces  débats  ? 

L'explication  la  plus  banale  semble  de- 
voir être  la  plus  forte. 

Le  colonel  Jouaust,  encore  qu'il  tentât 
de  s'isoler,  devait  subir  l'ambiance  de 
Rennes  —  et  la   fascination  des  généraux. 

Rennes  !  Le  colonel  Jouaust  l'a  sous  la 
peau,  dans  le  sang,  plus  qu'un  autre. 

Il  y  est  né,  le  2  janvier  1840. 

Il  s'y  est  marié. 

Il  y  fut  officier  en  1874,  en  1887,  et  en 
1894.  Il  y  est  nommé  colonel  en  1895,  et 
maintenu.  Il  y  a  toutes  ses  attaches,  et, 
près  de  la  retraite,  projette  de  s'y  fixer... 

(Enfin,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le 
colonel  Jouaust  est  de  la  promotion  du 
général  Julliard.) 

Comment  les    choses  et    les  personnes 


DU  PROCES  DE  RENNES  43 

ii'auraient-elles  pas  pesé  lourdement   sur 
lui. 

Certes,  il  voulut  faire  sou  devoir —  mais 
sans  heurter  Rennes  dont  il  savait  l'hos- 
tilité furieuse,  et  sans  blesser  les  géné- 
raux... 


* 
*  * 


Le  prestige  de  r  uni  forme. 

Les  généraux  n'en  doutaient  pas  du 
prestige  de  leur  harnais,  qu'ils  quittaient 
de  temps  à  autre,  mais  reprenaient  sans 
faute  aux  jours  orageux. 

Entendu  à  une  fin  d'audience  : 

—  Mon  général,  n'y  avait-il  pas  une  ob- 
servation à  faire  ?  Peut-être  n'y  avez-vous 
pas  pensé? 

—  Oh  !  j'y  pensais  bien,  répondait  Mer- 
cier. Mais,  je  ne  l'ai  pas  faite  parce  que  je 
rt  étais  pas  en  uniforme... 


44  QUELQUES  DESSOUS  DU  PHOGÈS  DE  RENNES 


* 
*  * 


Entre  le  colonel  Jouaust  et  le  général 
Mercier,  il  y  eut  le  trait  d'union  quotidien, 
par  le  général  Julliard,  le  général  de  Saint- 
Germain. 

Et  le  président  du  Conseil  de  guerre  re- 
çut directement  le  général  Mercier  qui,  dès 
son  arrivée,  fit  visite  ou  déposa  sa  carte 
chez  tous  les  officiers  de  la  garnison  ! 

Plus  tard  une  leçon  fut  servie  là-dessus 
au  colonel  Jouaust,  par  son  vieil  ami  le 
général  Sébert  —  qui  s'abstint  de  toute  vi- 
site. 

Comme  Jouaust ,  dans  la  cour  du 
Lycée,  lui  en  faisait  grief,  le  général  Sébert 
répliqua  que,  témoin,  il  ne  s'était  pas 
cru  le  droit  d'aller  chez  le  président. 

De  cela,  le  général  Mercier  peut  toucher 
sa  part,  aussi. 

S'il  n'y  avait  que  de  ces  incorrections 
dans  son  cas  ! 


3  a 
N  o 


s-  s, 


>>' 


■,\ 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  llENiNES     47 


Le  président  ne  sait  rien . 

Et  puis  l'ignorance  des  faits  de  la  cause 
—  dont  le  colonel  Jouaust  se  vantait  — 
que  nous  retrouverons  chez  d'autres 
membres  du  conseil  de  guerre  : 

—  Le  Conseil  ne  connaît  rien.  Il  ne  con- 
naît que  ce  qu'on  lui  dit,  objecte  le  colonel 
Jouaust  à  un  témoin  —  confondant  l'igno^ 
rance  coupable  de  la  cause  et  des  dossiers 
avec  l'indépendance  de  penser  du  juge. 


*  * 


Le  président  ne  veut  rien  savoir. 

Le  colonel  Jouaust  ne  sait  rien  — •  et,  ce 
qui  est  pis,  ne  veut  rien  savoir. 

Le  lieutenant-colonel  Jeannel  prétendait 
que  Dreyfus  lui  avait  emprunté  un  Manuel 
de  tir.  Dreyfus  contestait  les  souvenirs  du 


48  QUELQUES  DESSOUS 

témoin  et  lui  remémorait  qu'il  s'agissait  du 
Manuel  de  tir  allemand,  et  non  pas  du  Ma- 
nuel de  tir  français.  Et  il  en  donnait  pour 
preuve  qu'à  cette  époque,  lui,  Dreyfus,  s'oc- 
cupait précisément  d'une  étude  sur  l'artil- 
lerie allemande. 

((  Le  travail  dont  je  parlais,  dit-il,  doit 
exister  au  ministère  de  la  guerre  et  doit,  si 
mes  souvenirs  (qui  datent  de  cinq  ans)  ne 
me  trompent  pas,  exister  également  en  mi- 
nute dans  les  pièces  qui  ont  été  saisies  chez 
moi. 

»  Il  serait  très  intéressant  de  savoir  ce 
qu'il  y  a  dans  ce  travail.  » 

A  ce  moment,  le  colonel  Jouaust  inter- 
rompt l'accusé  : 

—  Nous  iH avons  pas  le  temps  de  faire 
une  recherche. 

Ailleurs,  le  général  Mercier  ayant  nié 
l'authenticité  de  la  lettre  d'Henry  à  M.  Pa- 
pillaud  pour  aviser  la  Libre  Parole  de  l'ar- 
restation du  juif,  M''  Labori  en  réclame 
l'expertise  : 

Le  président.  —  Cela  allongerait  de  beau- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  49 

coup  les  débats  l    Quel  intérêt  ij  a-t-il  à  ceci  1 
Il  le  demande  ! 


Enfin,  le  colonel  Jonanst  ne  brusquait 
pas  seulement  les  témoins  de  la  défense 
parce  qu'ils  attaquaient  forcément  la  horde 
criminelle  des  accusateurs,  mais  encore 
parce  qu'il  cherchait  impatiemment  «  la 
preuve  de  rinnocence,  » 

Cela,  pour  lui,  ne  pouvait  résulter  de  la 
discussion.  Cela  devait  se  produire  maté- 
riellement, en  chair,  en  os,  en  bois,  en 
nickel  ! 


-!<    * 


(La  parole  du  général  Roget  : 
—  Si  j'étais  accusé  d'une  trahison  que  je 
n'aurais  pas  commise,  je  trouverais  des  ar- 
guments.) 


50  QUELQUES  DESSOUS 


Mais,  pour  les  preuves  de  culpabilité,  le 
colonel  Jouaust  était  moins  exigeant.  11 
faut  rappeler  sa  phrase  sur  «  toutes  les  choses 
réunies  qui  forment  des  présomptions ,. .  » 


Ainsi,  tout  d'une  pièce,  d'une  partialité 
continue,  intolérant  pour  tous  les  témoins 
de  la  défense  et  les  avocats,  d'une  cour- 
toisie sans  un  pli  pour  les  généraux  qui 
peuvent,  à  l'aise,  saturer  de  mensonge  les 
membres  du  Conseil. 

C'est  tout  gracieusement  qu'il  invite  les 
uns  à  déposer,  qu'il  rudoie  les  autres.  Et, 
avec  quelle  hâte  il  vole  au  secours  de  ceux- 
là  contre  ceux-ci  ! 

Après  avoir  accordé  toutes  complaisan- 
ces, sans  restrictions,  aux  réquisitoires  des 
ministres  Mercier,  Billot,  Cavaignac,  Zur- 
linden,  Chanoine,  et  des  féroces  volontaires 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  51 

de  l'accusation  comme  le  général  Roget,  la 
patience  du  président  Jouaust  s'évanouit, 
au  premier  témoin  adverse,  avant  qu'il 
ouvre  la  bouche,  et  sa  défiance  se  formule. 


A  M.  Bertulus  : 

Le  président.  —  Veuillez  faire  votre  dé- 
position sur  ce  qui  a  rapport  directement  ou 
indirectement  avec  l'affaire  Dreyfus,  sans  y 
mêler  des  choses  n"* ayant  rapport  qu'à  d'autres 
affaires.,. 


Le  colonel  Picquart  n'a  pas  commencé  de 
parler  depuis  deux  minutes  qu'il  est  inter- 
rompu : 

Le  président.  —  N'abusez  pas,  Yous  êtes 
ici,  avant  tout,  pour  7ious  éclairer  sur  l'affaire 
Dreyfus  î 

Le  colonel  Picquart.  —  Très  bien,  mon 


•)2  QUELQUES  DESSOUS 

colonel,  mais  je  défends  la  valeur  de  mon 
témoignage.  . 

Le  président.  —  Sa?}s   doute,  mais  enfin ^ 
71  abusez  pas.  (Mouvements  divers). 


Une  seconde,  exactement,  après. 
Le  président.  —  Ne  perdez  pas  de  vue  la 
question  Dreyfus  ! 

Et  le  président  Jouaust  s'exclame  quand 
le  colonel  Picquart  répond  au  général  Ro- 
get,  qui  a  pu  l'attaquer  tout  à  sa  guise  : 

Le  président.  —  Je  vous  ferai  remarquer 
que  c'est  une  question  "personnelle.  Aussi  je  vous 
engage  à  être  bref  l 

Et  le  président  Jouaust  est  bien  contraint 
de  laisser  s'expliquer  le  témoin,  si  maître 
de  soi,  —  mais  non  sans  arrêt  : 

Le  président.  —  Vous  traitez^  en  ce  mo- 
ment-ci^ une  question  à  côté.  Serrez  la  question 
Dreyfus  de  plus  près! 

Le    président.  —  Vous  entrez    dans    des 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  53 

explications  qui  paraissent  s  éloigner  de  l'af- 
faire Dreyfus, 

Le  président.  —  Veuillez  ne  pas  parler 
des  choses  exclusivement  personnelles. 

Le  président.  —  Ne  pourriez-vous pas  ré- 
sumer im  peu  ? 

Le  général  Mercier,  le  général  Roget  se 
précipitent  pour  répliquer  au  lieutenant- 
colonel  Picquart. 

Le  général  Roget  demande  à  déposer  sur 
ce  qui  lui  est  personnel.  Le  président  se  garde 
bien  de  lui  refuser  de  déposer  sur  des  cho- 
ses exclusivement  personnelles  l 

Le  commandant  Lautli,  comme  le  géné- 
ral Roget,  a  toute  latitude. 

Le  lieutenant-colonel  Picquart. —  Je 
tiens  à  protester  d'un  mot. 

Le  président.  —  La  chose  n'a  qu'un  inté- 
rêt très  indirect  avec  F  affaire  qui  nous  occupe. 

Le  lieutenant-colonel  Picquart. — ...  Je 


54  QUELQUES  DESSOUS 

tiens    seulement  à   protester  par  un   mot 
contre  raccusation  de  cambriolage. 

Le  PRÉSIDENT.  —  Cela  7iapas  un  intérêt  di- 
rect avec  l'affaire. 

Le  LIEUTENANT-COLONEL  PiCQUART. —  ...  Je 

n'ai  jamais  organisé  de  cambriolage. 

Le  PRÉSIDENT.  —  //  nest  pas  question  de 
cela. 

Enfin,  comme  après  la  déposition  baveuse 
et  truquée  du  capitaine  Junck,le  lieutenant- 
colonel  Picquart  réclamait  la  parole  : 

Le  LIEUTENANT-COLONEL  PiCQUART.  —  Un 

mot,  un  seul  mot? 

Le  Président.  —  ENCORE  !  {Murmu- 
res)* 

N'insistons  pas. 


Tout  le  procès  serait  à  repasser.  Arrê- 
tons. Mais  il  était  nécessaire  de  ressusciter 
dans  les  mémoires  des  souvenirs  précis. 
Sans  cette  précaution,  les  notes  les  plus  vé- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  55 

ridiques,  tout  à  l'heure,  paraîtraient  extra- 
vagantes. Car,  glissant  sur  la  pente,  dans 
son  désir  de  faire  respecter  les  généraux, 
même  au  plus  fort  de  leurs  embarras,  de 
leurs  bafouillages,  de  leurs  mensonges  ou 
de  leurs  faux,  le  colonel  Jouaust  est  tombé 
de  l'agacement  et  de  l'humeur  à  la  bruta- 
lité, jusqu'à  la  mauvaise  foi,  jusqu'à  l'étran- 
glement des  débats. 

Quand  les  avocats  pressent  le  général 
Mercier,  le  colonel  Jouaust  se  jette  entre, 
hérissé  et  grognant  : 

Le  président.  —  Je  ne  poserai  pas  la  ques- 
tion. 

C'est  le  refrain,  à  toutes  les  questions  gê- 
nantes. 

Nous  l'avons  déjà  entendu,  pour  cette 
affaire,  en  d'autres  enceintes  ! 


*  * 


Quand  M^  Labori  accule  le  général  Mer- 
cier et  le  général  Chamoin,  sur  la  fausse 
pièce  de  du  Paty,  qu'ils  ont  tenté  de  loger 


56    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

au  dossier  secret,  dans  un  huis-clos,  la 
lactique  est  pareille. 

Le  PRÉSIDENT.  —  ...  Je  crois  toute  cette  dis- 
cussion inutile. 

...La  question  a  été  posée  à  fond. 

...  Je  ne iioserai pas  la  question. 

Etc.,  etc. 


De  même,  pendant  la  confrontation  Freys- 
tœtter-Mercier-Maurel,  où,  les  choses  tour- 
nant mal  pour  Mercier-Maurel,  le  colonel 
Jouaust  coupe  le  questionnaire  : 

A  M^  Démange  : 

Le  PRÉSIDENT.  —  Mais  cela  vient  d^être 
dit.  (Rumeurs.) 

A  M''  Labori,  qui  constate  : 

M''  Labori.  —  Toujours  le  mort  î  Le  co- 
lonel Sandherr  est  mort  !  Le  colonel  Henry 
est  mort  !  M.  du  Paty  de  Clam  ne  vient  pas  ! 
[Mouvement  prolongé.) 

Le  président.  ■ —  M''  Labori.^  je  vous  re- 
tire la  parole.   Ceci  est  de  la  discussion. 


i:  a 

.    I 

aj  .5 
-3    rt 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     59 


*  * 


A  M.  Paraf-Javal  : 

Le  PRÉSIDENT.  —  Posez  votre  théorie  sans 
entrer  dans  des  considérations  personnelles. 


* 
*  * 


La  déposition  du  lieutenant-colonel  Gor- 
dier  est  toute  hachée  : 

Le  président.  —  Dites  seulement  le  néces- 
saire.,. 

Veuillez  nous  indiquer  brièvement,., 

C est  inutile ,. . 

Passez  sur  ces  détails... 

Cette  affaire,  au  fond,  n'a  pas  d'' intérêt  pour 
l'affaire  que  nous  avons  à  juger... 

Abrégez,  abréqez... 

Je  ne  dois  pas  laisser  dévier  le  débat. . . 

Répondez  plus  brièvement. . . 

Nous  ne  pouvons  pas  insister  sur  cette  ques- 
iion  qui  n^a  aucune  espèce  d'hitérêt  dans  l'af- 
faire  qui  nous  occupe. 


60  QUELQUES  DESSOUS 

Soyez  bref. 

Je  vais  couper  court  à  cet  incident. . .  En 
vertu  de  l'article  27 S,  j'écarte  absolument  cette 
question. 

Or,  la  déposition  du  lieutenant-colonel 
Cordier  est  un  chef-d'œuvre  de  lucidité  et 
de  bonhomie.  Les  autres  avaient  eu  tout 
loisir  de  l'attaquer  ignoblement,  comme 
Picquart. 

Quand  ces  deux  témoins  se  défendent  con- 
tre  des  attaques  produites  à  l'audience,  ça 
devient  «  des  choses  personnelles  ». 


Aussi,  les  dépositions  de  M.  Paul  Meyer, 
de  M.  Molinier,  de  M.  Giry  sont  ponctuées 
de  ((  Inutile,  7i  insistez  pas)). 

M.  Giry.  —  Il  me  semble  précisément 
que  c'est  le  moyen  de  faire  se  manifester  la 
vérité  que  de  faire  des  observations  sur  les 
mêmes  mots  ! 

Le  PRÉSIDENT.  —  Cela  peut  nous  ame?ier 
des  répliques  î 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  61 


Au  commandant  Forzinetti  : 

Le  président.  —  Soi/ez  le  plus  bref  pos- 
sible... 

Vous  pourriez.^  je  crois,  passer  toutes  ces 
choses... 

Vous  y  arrivez  un  peu  trop  lentement.,. 

Le  capitaine  Lebrun-Ren'ault,  le  général 
Roget  interrompent  le  témoin —  et  c'est  au 
commandant  Forzinetti  que  s'adresse  ainsi 
le   colonel  Jouaust  : 

Le  président.  —  Vous  navez  pas  la  pa- 
role ! 


^ 
^  * 


Au  général  Gonse,  serré  dans  l'étau  des 
questions  de  M*"  Labori,  le  colonel  Jouaust 
porte  secours  : 

Le  président.  —  Je  ne  poserai  pas  cette 
question. 

4 


62  QUELQUES  DESSOUS 


Le  général  deBoisdelTre,  le  général  Mer- 
cier, le  général  Roget  s'élancent,  à  la  dé- 
position de  M.  de  Fonds-Lamothe  —  qui, 
seul,  ne  peut  plus  parler  : 

Le  président.  —  Je  vous  interdis  de  par- 
ler sans  me  demander  la  parole  !  Qu  est-ce  que 
vous  avez  à  dire  ? 

Plus  tard,  déposition  Hirschauer.  M.  de 
Fonds-Lamothe  demande  la  parole  : 

Le  président.  —  Je  ne  vous  la  donneras  l 
(Rumeurs.) 


Enfin,  M*^  Labori  ne  pouvait  plus  inter- 
venir aux  débats,  sans  exciter  l'ire  du  co- 
lonel Jouaust.  Il  ne  se  contentait  plus  de 
refuser  de  poser  les  questions.  Il  refusait 
à  M^  Labori  le  droit  de  les  lui  proposer, 
lui  reprochant  le  timbre  de  sa  voix. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  63 


* 
*  * 


Toutefois,  témoins,  avocats  pouvaient  se 
révolter. 

Mais  quand  le  colonel  Jouaust  dirigeait 
sa  brutalité  efïroyable  sur  Taccusé  ? 

Car,  le  jeudi  31  août,  à  huis  clos,  comme, 
à  la  suite  d'insinuations  du  général  Deloye, 
Dreyfus  s'écriait,  très  émotionné,  les 
pleurs  aux  yeux  : 

«  On  ne  produit  que  des  insinuations 
contre  moi,  mon  colonel  ;  qu'on  apporte 
des  preuves  !  Je  suis  innocent.  » 

Le  colonel  Jouaust  dit  : 

—  N'oubliez  pas  que  nous  sommes  à  huis 
clos.  Réservez  ça  pour  r audience  î 


De  là  à  la  mauvaise  foi,  consciente  ou 
non,  il  n'y  a  pas  loin. 

Un  jour,  M^  Démange  sortait  consterné 
d'un  de  ces  huis-clos,  avouant  : 


64  QUELQUES  DESSOUS 

—  C'est  la  condamiiaiioii  ! 

Le  commandant  Hartmann  avait  fait 
remarquer  que  l'archiviste  Boutonnet,  con- 
damné en  1890,  avait  eu  à  sa  disposition  les 
documents  relatifs  à  l'obus  Robin  et  au 
chargement  des  obus  à  mélinite,  ajoutant 
qu'il  avait  donc  pu  le  livrer. 

—  Affirmation  audacieuse  !  proférait  le 
commissaire  Carrière  ! 

—  Avez-vous  une  preuve  ?  exigeait 
Jouaust. 

—  L'accusation  en  a-t-elle  contre  Drey- 
fus ?  répondait  le  témoin.  Ce  que  je  dis, 
c'est  que  la  probabilité  est  infiniment  plus 
grande  contre  Boutonnet,  condamné  pour 
trahison,  à  un  moment  où  il  disposait  des 
documents  livrés,  que  contre  Dreyfus  entre 
les  mains  duquel  ces  documents  ne  se  sont 
jamais  trouvés  ! 

Ce  sont  les  mêmes  hommes  à  qui,  pour  in- 
criminer Dreyfus,  il  suffisait  que  l'accusé  eût 
passé  par  l'Ecole  de  Pyrotechnie  de  Bourges  / 

—  C'est  la  condamnation,  gémissait 
M*"  Démange  —  avec  raison  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  (')5 


Les  Juges. 

Le  coloiiei  JouaiisL,  qui  portera  le  far- 
deau du  jugement  du  9  septembre  1899,  fut 
efficacement  secondé  par  les  membres  du 
conseil  de  guerre.  Nous  les  rejoindrons  au 
moment  du  verdict.  Quelques  notes  seule- 
ment, pour  éclairer  leurs  physionomies  aux 
audiences. 


Le  commandant  Prolillet,  le  commandant 
Merle,  sont  de  la  promotion  de  Cavaignac 
et  de  Ducassé  —  (le  bras  droit  du  général 
de  Pellieux  au  procès  Zola)  —  de  l'École 
polytechnique. 


Le  capitaine  Beauvais,  le  capitaine  Par 

4. 


66  QUELQUES  DESSOUS 

fait  sont  de  la  promotion  de  Gnède,  officier 
d'ordonnance dugénéralJulliard, et  d'Uzac, 
officier  d'ordonnance  du  général  Deloye  — 
de  l'École  polytechnique. 


Le  commandant  Merle  a  ses  habitudes 
de  cercle  ;  pour  d'autres,  c'est  le  vermouth 
ou  l'absinthe  ;  chacun  son  vice;  lui,  Vl/i- 
tram?geant  eildi  Libre  Parole;  le  garçon  les 
lui  apporte,  sans  commander. 


Le  capitaine  Parfait? 
Avant  le  procès,  il  disait  à  l'un  de  nos 
amis  : 

—  Voyez-vous,  mon  cher,  c'est  une  affaire 
dont  il  ne  faut  considérer  que  les  grandes 
lignes  ! 

Pendant  le  procès,  sa   femme  éclatait  : 

—  Quel  menteur  que  ce  Gasimir-Perier  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  67 

Mais  le   général  Mercier   lui  a  rudement 
rivé  son  clou  ! 

Gela  a  valu  au  ménage  Parfait  son 
intronisation  dans  la  société  rennaise  —  où 
il  n'allait  guère  jusqu'alors. 


* 


Le  capitaine  Beauvais  ? 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  bizarre. 

Passa  d'abord  pour  un  vrai  juge.  Travail- 
lait, questionnait.  Déjà,  on  l'accusait  d'a- 
voir été  acheté.  On  commençait  à  répandre 
de  scandaleuses  histoires  d'armoire,  etc.. 
Il  a  condamné  Dreyfus  :  le  voici  devenu  un 
modèle  de  correction  publique  et  de  vertus 
privées. 

D'autre  part,  on  s'est  aperçu  —  que 
ses  questions  étaient  souvent  des  pièges, 
et  que  sa  manière  de  faire  pouvait  bien 
n'avoir  été  que  du  battage! 

Et  l'on  a  failli  lui  élever  une  statue, 
comme  à  l' Un  des  Deux  l 


08  QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCES  DE  RENNES 


* 
*  ^ 


Le  lieutenaiit-colonei  Brongniart,  lui,  a 
dirigé  tout,  en  artillerie,  suppléé  Jouaust 
qui  n'avait  pas  daigné  se  mettre  au  cou- 
rant. 

Le  parti  pris  et  l'ignorance,  là,  sont  ca- 
ractéristiques. 

Par  exemple,  dans  la  discussion  sur  le 
point  de  savoir  si  le  frein  hydropneuma- 
tique peut  être  appelé  frein  hydraulique,  il 
se  blouse  comme  un  civil  de  troisième  classe 
—  d'avant  l'affaire  Dreyfus.  Car,  depuis, 
quel  est  le  civil  qui!... 

Il  cultive  le  parti    pris,    indéracinable. 

Ainsi,  l'auteur  du  bordereau  écrit  qu'il 
adresse  à  son  correspondant  le  «  projet  du 
manuel  de  tir  de  l'artillerie  de  campagne». 

Le  lieutenant-colonel  Brongniart  veut 
que  l'auteur  envoie  certainement  le  docu- 
ment même,  authentique,  ce  qui  n'est 
rien  moins  que  prouve!  alors  qu'il  cir- 
cule quantité   de  copies,  entre   lesquelles 


C  Guignet.  G^  Mercùr.       M.  Cavuiguac. 

Greffier  Coupois. 
Dans  le  fond  :  C  Carrière.  G^  Fleur. 


Qi  Rogut. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES  71 

Esterliazy    n'aurait  su    ni    pu    distinguer. 

Pourquoi  le  lieutenant-colonel  Bron- 
gniart  s'entête-t-il  ainsi  ? 

Parce  qu'à  TEtat-Major,  on  avait  dix 
exemplaires  du  document  —  à  proximité 
de  Dreyfus  —  et  qu'il  faut  démontrer  que 
c'est  un  de  ces  dix  exemplaires-là  qui  est 
envoyé... 

Tout  pour  démontrer  «  le  défaut  d'inno- 
cence !  » 


Le  Commissaire  du  Gouvernement, 

Aux  flancs  du  conseil  de  guerre,  l'inef- 
fable commandant  Carrière,  qui  fut  com- 
mandant de  gendarmerie  en  Algérie,  à 
Blidah,  où  il  se  signalait  par  la  plus  com- 
bative intolérance  religieuse,  punissant 
sous  des  motifs  hypocrites  les  hommes  qui 
ne  pratiquaient  pas.  De  là  à  l'antisémi- 
tisme, il  n'y  a  pas  l'épaisseur  d'une  pelure 
d'orange. 


72    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

Sans  doute,  le  doyen  des  étudiants  de 
France.  Il  occupe  ses  loisirs  à  suivre 
les  cours  de  droit  de  la  Faculté  de  Rennes. 
Etudiant  de  deuxième  année,  quand  l'hon- 
neur lui  échut  de  représenter  le  gouverne- 
ment. 

On  cite  des  mots  de  lui. 


^  >i< 


Quand  on  apprend  que  le  rapport  Ballot- 
Beaupré  conclut  à  l'innocence  de  Dreyfus  : 

X-. ..  —  Eh  hien!  mon  commandant,  la 
Cour  de  cassation  va  décider  la  revision  ? 

Carrière.  —  Allons  donc,  tous  les  con- 
seillers ne  sont  pas  des  canailles  comme 
Ballot-Beaupré  ! 


Quand  il  fut  officiel  que  la  Cour  de  cas- 
sation renvoyait  FalTaire  à  Rennes,  Car- 
rière, qui  était  à  l'Ecole  de  droit,  se  serait 


M.  le  Général  de  Boisdeiïre  et  le  greffier  Coupois 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     75 

précipité    dans    la  chaire    du    professeur 
pas  arrivé,  s'écriant  : 

—  C'est  ici  que  Dreyfus  sera  jugé  ;  il  est 
condamné  d'avance. 


* 
*  * 


Pendant  le  procès,  le  lieutenant-colonel 
de  gendarmerie  Lohé  étant  mort^  Carrière 
proclame  : 

—  Encore  un  que  ce  cochon  de  Dreyfus 
a  tué. 


Les  Comparses, 

Le  greffier  Coupois  est  fort  trouble, 
comme  Beauvais. 

Le  greffier  Coupois  était  le  familier  de 
M^  Collenot,  secrétaire  de  M^  Démange  ;  il 
donnait  des  tuyaux  aux  habitués  des  Trois- 
Marches^  courtisait  les  dreyfusards. 


76     QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

A  d'autres,  il   s'est  vanté  d'avoir  fait  la 
déposition  de  son  protecteur  Boisdeffre! 
Dans  BoisdefTre,  il  y  a  Le  Mouton. 


Et  le  commandant  Carrière  était  doublé 
de  son  substitut  enragé,  le  commandant 
Mayence,  son  souffleur,  qui  lisait  les  lettres 
que  le  commissaire  du  gouvernement  affir- 
mait ne  pas  lire... 


Et   l'un    et    l'autre   étaient   assistés   de 
j\P  Jules  Auffrav... 


Le  capitaine  Jacquier,  rapporteur,  n'a 
pas  cessé  de  manifester  son  hostilité  à  la 
revision. 

On   tient  de  lui  un  renseignement,  qui 


Le  cobnel  Jourdy,  président-suppléant  du  Goaseil  de  guerre^ 
et  le  général  Roget. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     79 

prend  une  valeur  sérieuse,  —  avalisé  par 
le  général  Ghamoin. 

Huit  jours  avant  le  verdict,  dans  la  cour 
du  Lycée,  le  capitaine  Jacquier  disait  : 

—  Dreyfus  ne  retournera  pas  à  l'île  du 
Diable  :  il  sera  enfermé  à  Corte. 


—  Pas  de  trahison...  Grosses  impru- 
dences, aurait  prétendu  Ghamoin...  Ça 
vaut  cinq  ans  de  prison,,. 


Le   jugement  du  conseil  de  guerre  est 
couramment  appelé  :  la  Solution  Chamoin. 


* 

*  * 


Parmi  les  suppléants,  féroces,  qui  ma- 
nœuvrèrent commeun  seul  homme,  sous  la 
présidence  d'honneur  du  général  Mercier, 


8.)     QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

cl   SOUS  le  commandement  effectif   de  sa 
cohorte  rennaise,  —  le  colonel  Jourdy. 

Sous  un  petit  arbre  affectionné  du  gé- 
néral Boisdeffre,  le  colonel  Jourdy,  aux 
suspensions  d'audience,  prenait  sa  récréa- 
tion au  milieu  des  généraux,  et,  comme 
les  petits  qui  se  mêlent  aux  grands,  leur 
faisait  la  cour. 

Cela  commençait  ainsi  : 
—  J'ai  été  dreyfusard  ;  je  ne  le  suis 
plus...  (On  peut  croire  qu'il  se  vantait.  Il 
serait  le  seul  dans  l'univers  à  avoir  varié 
dans  ce  sens  —  tant  chaque  jour  de  l'af- 
faire apportait  des  motifs  nouveaux  de 
conviction  aux  partisans  de  la  revision  — 
et,  plus  tard,  de  l'innocence  !) 

C'est  le  même  colonel  Jourdy  qui,  ac- 
cusé d'affiliation  à  la  franc-maçonnerie, 
réunit  ses  officiers  pour  leur  affirmer  qu'il 
n'en  faisait  pas  partie. 

Un  officier,  en  sortant,  s'écriait  : 
—  Eh  bien  î  il  a  un  sacré  toupet  ! 
Le  colonel  Jourdy  le  serait  donc,  franc- 
maçon,  malgré  son  démenti  ? 


L'archiviste  Gribelin,       Le  colonel  Jourdy,  présiii. -suppléant  du  Conseil, 

et  le  Général  Zurlinden, 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     8;i 


* 
*  * 


Les  Grands  chefs. 

L'architecte  du  procès  de  Rennes,  le  gé- 
néral Mercier,  et  le  gros  entrepreneur  à  for- 
fait, le  général  Roget,  avaient  donc  dans 
Rennes,  elles  Rennais  militaires  ou  civils, 
tous  les  matériaux  et  la  main-d'œuvre  sou- 
haitables, pour  édifier  ce  monument  d'in- 
famie, la  recondamnation  de  Dreyfus. 

Par  la  note  ci-dessous,  qu'on  veuille  bien 
se  rendre  compte  de  la  force  compacte,  des 
solidarités  serrées  de  ((  l'Etat-Major  ». 


* 


L'État-Major,  créé  en  1818,  sur  l'initia- 
tive de  Gouvion  Saint-Gyr,  était  un  corps 
fermé.  L'officier  qui  y  entrait  n'en  sortait 
plus.  C'était,  sans  plus  jamais  de  contact 
avec  les  troupes,  l'abrutissement  dans  les 
bureaux  —  ou  la  carrière,  servile  et  bril- 


8i.  QUELQUES  DESSOUS 

lanle,  de  courtisan,  dans  les  fonctions 
d'aide  de  camp  ;  l'inlrigue  avançait  mieux 
que  le  pur  mérite. 

1870  montra  ce  que  valait  cet  Etat- 
Major. 

Les  aides  de  camp  furent  supprimés. 

Ils  reparurent,  souvent,  comme  officiers 
d'ordonnance. 

Le  corps  d'Elat- Major,  lui-même,  fut 
supprimé,  en  1880,  réparti  dans  les 
troupes. 

Supprimé,  sur  le  papier,  seulement. 

Ce  corps  était  trop  fortement  organisé, 
son  recrutement  opéré  avec  trop  de  soin 
par  ses  grands  chefs  mêmes,  pour  que  ses 
éléments  dispersés  ne  restassent  pas  ja- 
lousement reliés.  Les  officiers  de  l'ancien 
corps  à  qui  l'on  conservait  le  privilège  de 
leur  situation,  les  Brevetés  de  droit  divin ^ 
comme  on  les  surnomma,  réoccupèrent  vite 
les  hautes  places,  et  celles  qui  furent  dévo- 
lues à  des  officiers  du  nouveau  recrutement, 
les  Sang-Nouveau,  les  hrevetés  issus  de 
l'Ecole  supérieure  de  guerre,  ne  le  ^furent 


DU  PROCÈS  DE  UE.XXES  85 

qu'à  des  gens  sûrs,  à  de  fidèles  amis  de 
l'aiicieii  corps,  ayant  adopté  de  cœur  ses 
traditions  et  ses  errements. 

La  plupart  des  officiers,  qui  ont  tenu  les 
emplois  les  plus  néfastes  dans  l'affaire 
Dreyfus,  sont  des  brevetés  de  droit  divin. 
Sortent  du  vieux  corps  d'État-Major  de 
1870,  disséminé  en  1880,  —  et  toujours 
là: 

Général  Billot  ; 

Général  de  Torcy,  son  chef  de  cabinet, 
(qui,  par  ordre  de  Billot  accuse  réception 
à  Esterhazy  du  document  libérateur); 

Général  de  Boisdeffre  —  type  de  l'ancien 
aide  de  camp  ; 

Général  Gonse,  type  de  l'ancien  officier 
de  bureau  ; 

Général  Fabre  ; 

Colonel  d'Aboville; 

Général  de  Pellieux  ; 

Général  Roget  ; 

Lieutenant-colonel  du  Paty  de  Clam  ; 

Lieutenant-colonel  Bertin-Mourot  ; 

Commandant  Curé. 


86  QUELQUES  DESSOUS 


*  -:< 


Qui  le  général  de  Boisdeffre,  désireux  de 
former  les  nouvelles  générations  à  l'image 
de  l'Etat-Major  de  ses  rêves,  avait-il  placé  à 
la  tête  de  l'Ecole  supérieure  de  guerre,  — 
pépinière  des  futurs  officiers  d'Etat-Major? 
Comme  commandant  de  l'Ecole  de  guerre, 
le  général  Renouard,  comme  commandant 
en  second  le  colonel  Davignon  —  ayant 
bien  la    tradition  de  l'ancien  corps,  oui. 

Les  officiers  de  l'ancien  corps  d'Etat- 
Major  n'étaient  guère  plus  de  cinq  cents, 
—  à  peine  de  quoi  suffire,  tant  on  en  a  vu, 
dans  l'affaire  Dreyfus  ! 

Cependant,  ils  s'étaient  fait  remarquer 
déjà,  laissant  pas  mal  des  leurs  en  route  : 

Général  Caffarel  ; 

Général  d'Andlau; 

Capitaine  Voyer... 

Etc.  Etc. 

Le  général  Mercier  fut  le  chef  de 
l'équipe  acharnée  sur  Dreyfus  —  les  Bois- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  87 

defîre,  les  Gonse,  les  Roget,  —  qu'on 
baptisa  si  pittoresqiiement  la  Compagnie 
des  chargeurs  réunis. 

Coupable  de  forfaiture  et  de  faux  témoi- 
gnage—  et  tombant  sous  combien  d'arti- 
cles du  Code  ,  personnellement,  le  général 
Mercier  avait,  en  outre,  charge  d'âmes: 
Henry,  Du  Paty,  Esterhazy. 

Il  a  bien  travaillé  pour  quatre. 


>i<  H< 


Le  Général  Mercier. 

Le  général  Mercier  avait  à  démontrer  à 
la  Libre  Parole  et  à  Y  Intransigeant^  qu'il 
n'était  pas  ce  que  prétendaient  Rochefort 
et  Drumont,  en  1894  —  le  lourd  crétin  au 
flair  (T artilleur.  Il  y  a  réussi. 

Il  a  vaincu  la  légende  qui,  déjà,  le  repré- 
sentait comme  une  sombre  bête. 

L'histoire  verra  en  lui  la  plus  claire 
canaille. 


88  QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

Pourtant,  les  difficultés  n'étaient  pas 
minces.  Il  les  a  toutes  abattues.  Mais  il 
n'épargnait  pas    sa  peine.    Un  de  ses  fils 


M.  Juiet  et  le  sénéral  de  Boisdeffre. 


disait  à  deux  autres  jeunes  gens,  ses  com- 
mensaux, dans  la  salle  commune  d'un  hôtel  : 
((  Quand  papa  voyait  que  les  juges  du  Conseil 
de  guerre  étaient  ébranlés  par  les  dépêches  et 
les  témoignages  y  il  passait  sa  journée  à  courir 
chez  chacun  d'eux  pour  les  ramener.  » 


Général  Mercer,  Colouel  d'Aboville.  M.  Judet.     G'  de  Boisdeffn 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     91 


La  famille  Mercier. 

Des  plus  sauvages  nationalistes,  le  géné- 
ral Mercier  s'est  fait  pardonner  sa  femme, 
anglaise,  qui,  au  ministère,  ne  parlait  pas 
couramment  français  ;  il  s'est  fait  pardon- 
ner ses  biens  en  Angleterre,  et  ses  fils  qui 
disaient  volontiers  au  milieu  de  leurs  cama- 
rades officiers  français  : 

—  Nous  autres,  en  Angleterre... 

—  Si  je  ne  suis  pas  reçu  à  l'Ecole,  je  me 
ferai  officier,  en  Angleterre. 

Oh  !  ves,  Judet. 


Le  général  Mercier  et  Cavaignac. 

On  ne  lui  reproche  ni  l'Angleterre,  et 
c'est  avec  raison;  ni  Madagascar,  c'estplus 
grave;  ni  ses  crimes  avérés  dans  l'affaire 


02  QUELQUES  DESSOUS 

Dreyfus  ;  ni  d'avoir  licencié  60,000  hommes, 
par  le  plus  coupable  abus  d'autorité,  à 
l'heure  où  l'Allemagne  pouvait  nous  atta- 
quer. 

Tout  ce  qu'il  fait  est  bien  fait. 

Ne  touchez  pas  à  l'honneur  de  l'armée  î 
Et,  s'il  veut  aller  de  l'avant,  nos  patriotes 
offrent  de  le  suivre...  contre  la  Répu- 
blique. 

C'est  le  chef  qu'il  leur  faut.  Comment  cet 
homme  douterait-il  de  soi-même?  Aussi, 
avec  quel  mépris  il  contemple  les  autres  ! 

—  Qui  est-ce  qui  va  vous  remplacer?  lui 
demandait  son  officier  d'ordonnance  d'Of- 
fry  de  La  Monnoye  (une  de  ses  victimes, 
mort  à  Majunga,  sans  avoir  débarqué), 
quelques  jours  après  le  procès  Dreyfus,  à 
la  chute  du  ministère,  en  janvier  1895. 

—  Me  remplacer?  Coco  ou  Caca... 
? 

—  Cochery  ou  Cavaignac  ! 

Telle  est  l'estime  et  la  cordialité  que 
publiait  Mercier  pour  Cavaignac  —  avant  de 
l'avoir  pour  allié  et  complice  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  93 


Une  poignée  de  mains. 

Cependant,  à  Rennes,  on  se  méprisait 
moins,  Mercier  et  CiVCAvaignac,  l'homme 
du  faux  Henry  et  l'homme  du  faux  Schneider 
—  entre  tant  d'autres  titres  à  une  estime 
réciproque. 

Pendant  la  suspension  d'audience  qui 
suivit  la  nouvelle  de  la  tentative  d'assas- 
sinat contre  Labori,  que  l'on  croyait  frappé 
à  mort,  les  assistants  refluaient,  boule- 
versés, dans  la  cour  et  sous  les  promenoirs. 
Dans  un  couloir  de  la  salle  des  fêtes  au 
réfectoire,  où  ils  se  croyaient  seuls,  Mercier 
et  Cavaignac  échangèrent  une  longue  poi- 
gnée de   mains... 

En  étaient-ils  à  la  première  ou  à  la 
seconde  de  la  journée  ? 

C'est  à  rapprocher  de  ce  que  rapporte  le 
colonel  Picquart,  au  procès  de  M*^  Labori 
contre  la  Libre  Parole  —  qu'il  n'oubliera 


94  QUELQUES  DESSOUS 

jamais  de  quels  yeux,  à  son  retour  au  lycée 
après  une  vaine  poursuite  de  l'assassin,  de 
quels  regards  de  défi  et  de  triomphe  le  fixa 
le  général  Mercier. 


ïiî 
*  ♦ 


Toujours  des  communications  secrètes. 

On  a  vu  comment  le  général  Mercier  a 
couvé  le  procès  de  Rennes  ;  le  choix  de 
Rennes  grâce  au  général  Davignon;  la  main 
mise  sur  Rennes  à  son  profit,  par  le  géné- 
ral Julliard  et  le  général  de  Saint-Germain; 
ses  travaux  d'approche,  ses  visites  à  Jouaust, 
ses  promenades  triomphales  avec  les  juges 
dans  sa  voiture... 

Ce  sont  bien,  n'est-ce  pas,  les  allures 
d'un  témoin  qui  n'a  souci  que  de  produire 
la  vérité,  qui  témoigne,  qui  s'en  va?... 

Lui,  garda  sa  place  réservée  à  l'audience 
d'où  il  marchait  à  la  barre,  pour  éperon- 
ner  la  mollesse  des  juges,  épauler  les  té- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  95 

moins  branlants,  parer  à  l'effet  des  dépo- 
sitions adverses. 

Contre  ces  témoins-ci,  l'intimidation, 
l'insulte  pour  décontenancer,  et,  quand  ils 
avaient  tourné  le  dos,  le  mensonge,  l'im- 
posture, la  diffamation. 

Tout  lui  est  bon,  comme  à  Roget,  pour 
ruiner  les  preuves  de  l'adversaire. 


Le  général  Mercier  ne  pouvait  renoncer 
ici  aux  moyens  qui,  depuis  cinq  ans,  lui 
avaient  assuré  la  victoire  et  l'impunité. 


* 
*  * 


Le  moyen  le  plus  certain  de  la  condam- 
nation de  Dreyfus  en  1894  avait  été  la  com- 
munication de  pièces  secrètes,  qui  étaient 
des  faux,  en  outre. 

Le  général  Mercier  n'a  pu  se  déshabituer 
de  ces  communications  scélérates  qui,  éma- 
nant d'un  chef,  constituent  des  ordres. 


96  QUELQUES  DESSOUS 


On  sait  que  le  général  Mercier  possédait 
tout  le  dossier  secret. 

Comment?  A  quel  titre? 

Cela  tombe  sous  le  coup  de  la  loi  de  1880, 
sur  l'espionnage. 


Mais  ce  n'est  pas  pour  son  usage  person- 
nel que  le  général  Mercier  détenait,  crimi- 
nellement, tout  le  dossier  secret.  Il  n'avait 
rien  à  y  apprendre.  Il  en  connaissait  l'in- 
sanité: Mais  les  juges  mêmes  qui  avaient 
pu  être  convaincus  de  l'insanité  et  de  la 
vacuité  de  ce  dossier,  par  Texamen  et  la 
discussion  à  huis  clos,  on  pouvait  les 
troubler,  les  influencer  au  dehors.  Des  co- 
pies, des  photographies,  habilem?ent  pro- 
duites, sans  critique,  rassérénaient  des 
consciences    inquiètes,     surexcitaient    les 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  97 

ignorants  de  bonne  foi,  au  Cercle,  dans  les 
salons,  en  ville. 

A  Rennes,  le  général  Mercier  faisait  en- 
core colporter  la  fameuse  lettre  de  l'Em- 
pereur d'Allemagne. 

Pour  ces  travaux  souterrains,  le  général 
Mercier  comptait  des  ouvriers  actifs. 

Un  des  plus  ardents  était  le  capitaine 
Valério,  l'émule  de  Bertillon,  qui  avait 
toujours  quelque  pièce  mystérieuse  à  com- 
muniquer aux  gens  —  comme  les  mar- 
chands de  cartes  légères... 


>iî  ^ 


Aussi,  à  Rennes,  devant  toutes  évidences, 
avec  quel  dédain  et  quel  air  entendu  les 
gens  tuyautés  par  les  salutistes  de  l'Etat- 
Major  insinuaient  : 

—  Vous  ne  savez  pas  tout  ! 


Nous  ne  savons  pas  tout,  non.  Mais,  pa- 

6 


98  QUELQUES  DESSOUS 

tience.   Ce    dont    nous    sommes    instruits 
forme  un  assez  joli  lot. 


La  brochure. 

Quelques  jours  après  sa  déposition,  le 
général  Mercier  qui  l'avait  fait  imprimer 
en  hâte,  la  fît  distribuer  en  brochure,  à 
Rennes  et  à  Paris,  gratuitement. 

C'était  déjà  d'une  correction,  d'une 
loyauté  plutôt  douteuses  —  publier  une 
déposition  sans  les  objections  qu'elle  a 
soulevées. 

Mais  la  brochure  fut  REMISE  aux  membres 
du  Conseil  de  guerre^  couverture  JAUNE 
pour  les  juges  titulaires,  BLEUE  pour  les  sup- 
pléants. 


* 


Au  civil,  en  cour  d'assises,  au  tribunal 
de  commerce,  les  magistrats  n'eussent  pas 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  99 

manqué  de  retourner  son  papier  à  l'au- 
teur —  avec  l'expression  de  leurs  senti- 
ments les  plus  étonnés. 

Mais,  au  militaire...  Décidément,  Ravary 
ne  nous  trompait  pas  :  leur  justice  n'est  pas 
la  même  que  la  notre. 


Il  n'y  a  pas  que  par  la  couleur  de  la  cou- 
verture que  les  brochures  des  membres  du 
Conseil  de  guerre  se  distinguent  de  celles 
distribuées  dans  les  rues. 

Le  texte  aussi  diffère  —  par  des  rema- 
niements nombreux  —  et  importants. 


Déjà,  la  brochure  vulgaire  ne  reprodui- 
sait pas  exactement  le  langage  de  l'au- 
dience. 

Il  y  a  de  notables  différences. 

(Pour  juger  combien  la  déposition  orale 
a  été  revisée  et  retravaillée,  pour  la  bro- 


100  QUELQUES  DESSOUS 

clîiire,  il  suffit  de  consulter  l'édition  sténo- 
graphique^  quasi-offîcielle  du  procès,  collec- 
tion Stock.  Les  principales  divergences  y 
sont  signalées  par  des  notes  au  bas  de  cha- 
que page,  et  il  y  en  a  !...) 


^  ^ 


La  brochure  ;  le  compte  rendu  revisé* 

Dans  le  texte  revisé  de  la  brochure,  on  ne 
compte  pas  moins  de  cent  cinquante  va- 
riantes. Elles  ne  sont  pas  de  pure  forme.  Ce 
ne  sont  pas  de  simples  corrections  de  typo- 
graphie ou  de  langage.  Quand  le  général 
Mercier  rectifie,  à  tête  reposée,  la  plume  à 
la  main,  son  langage  de  l'audience,  ce  i/est 
pas  par  coquetterie  de  style  ;  il  opère  sur 
le  fond  même  de  sa  déposition.  Il  la  mo- 
difie. Il  la  diminue  ou  il  l'aggrave,  pour  sa 
défense  propre,  ou  contre  Dreyfus.  Il  pré- 
cise des  points  qu'il  a  laissés  incertains  à 
l'audience,  pour  ne  pas  subir  de  ripostes  im- 
médiates. Il  remet  dans  le  vague  des  affir- 


DU  PROCES  DE  RENNES  101 

mations  qu'il  a  produites  à  la  barre,  qui  ont 
coulé  dans  le  Ilot  de  sa  déposition,  mais 
qu'on  repêcherait  trop  facilement,  immo- 
bilisées par  l'imprimé.  Enfin,  non  content 
d'ajouter,  de  retrancher,  sans  le  moindre 
scrupule,  il  a  altéré  les  textes  — jusqu'à  les 
falsifier. 


11  faudrait  un  volume  pour  tout  relever. 
Ici,  nous  devons  nous  limiter  :  quelques 
remarques  cursives,  au  hasard  (1). 

Page  78.  —  Le  général  Mercier  dit  avoir 
remis  une  lettre  de  «  Schwartzkoppen  à 
Suskind  »,  la  lettre  dite  de  l'Homme  des 
forts  de  la  Meuse,  à  M.  Gasimir-Perier. 
Cette  lettre  n'a  pas  reparu  :  «  Je  crois  (pi  elle 
a  été  égarée  lorsque  M.  Casimir-Perier  a  quitté 
la  présidence  du  Conseil  et  a  yris  successivement 
la  jirésidence  de  la  Chambre  et  la  présidence 
de  la  République,  » 

(1)   Les   indications  de  pcigination  sont  celles  de  la 
Sténographie  du  Procès  de  Rennes,  édition  Stock. 

6. 


102  QUELQUES  DESSOUS 

C'était,  dans  la  manière  du  général  Mer- 
cier, insinuer  que  la  perte  —  ou  le  détour- 
nement de  l'original,  incombait  à  M.  Ca- 
simir-Perier,  qui  l'aurait  fait  voyager  du 
ministère  à  l'Elysée. 

Cette  allégation  est  supprimée  dans  la 
brochure.  Il  est  vrai  que,  d'une  audience  à 
l'autre,  le  général  Mercier  a  été  prévenu 
que  cet  original  existait  au  ministère  des 
Affaires  étrangères.  Si  le  texte  primitif  avait 
été  maintenu  dans  la  brochure,  même  avec 
la  rectification  du  lendemain,  cela  eut 
permis  de  contrôler  le  procédé  calomnieux 
et  la  fantaisie  d'assertions  du  témoin.  Mieux 
valait  faire  sauter  le  passage  et  le  correctif. 
Et  le  général  Mercier  est  bien  de  force  à 
prétendre  que  c'est  un  trait  de  loyauté  de 
sa  part,  d'avoir  biffé  l'erreur  reconnue. 
Peccadille  !  Les  peccadilles  réunies  peuvent 
former  un  ensemble  pas  mal  criminel. 


Pa(/e  79.  —  Le  général  Mercier  parle  de 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  103 

la  composition  du  bureau  des  renseigne- 
ments :  ((  Généralement^  c'étaient  des  Alsa- 
ciens^ ou  bien  qui  avaient  servi  dans  le  .2®  hu- 
reau  de  T Etat-Major ,  etc,    » 

Dans  la  brochure,  cela  devient  :  ...  «  C'é- 
taient  des    officiers  qui    connaissaient  la 

MOBILISATION,  ctc.     )) 

Donc  Dreyfus,  etc.,  etc. 


*  * 


Page  81.  —  A  propos  de  la  lettre  Davi- 
gnon^  le  général  Mercier  dépose  :  «  ...  Il  y 
a  donc  intérêt  à  ce  que  le  colonel  Davignon 
ne  connaisse  pas  les  relations  qui  existent 
entre  le  colonel  Schwartzkoppen  et  un  ami 
INCONNU  qu'il  a  au  deuxième  bureau.  Et 
cet  intérêt  ne  peut  être  justifié  que  par  des 
relations  illicites  AVEC  DES  AMIS  dont 
est  le  capitaine  Dreyfus.  » 

Dans  la  brochure,  le  mot  INCONNU 
et  le  membre  de  phrase  AVEC  DES 
AMIS,  etc.,  disparaissent. 

Dans  la  version  sténographiée,   Tinter- 


104  QUELQUES  DESSOUS 

prétation  laissait  planer  le  doute  :  un  ami 
mconnu^  des  relations  illicites  AVEC  DES 
AMIS. 

Dans  la  brochure,  il  n'y  a  plus  que 
Dreyfus  en  cause,  tout  seul. 

Pmje  85.  —  Le  greffier  Coupois  donne 
lecture  de  la  pièce  mwante  : 

communications  verbales  de  X... 

1°  A  l'agent  Guénée,  mars  1894. 

«  //  faut  vous  rappeler  ce  que  je  vous  ai  déjà 
dit  au  sujet  des  relations  qui  existent  entre 
Schwartzkoppen  et  Panizzardi,  Dites  bien  à 
ces  messieurs  que  ces  relations  prennent  chaque 
jour  un  caractère  qui  semble  plus  intime^  ET 
TOUT  CE  QUE  EAIT  LUN  EST 
IMMÉDIATEMENT  TRANSMIS  A 
L  AUTRE. 

Dans  la  brochure,  le  général  Mercier, 
pour  renforcer,  ALTERE  ainsi  le  texte 
versé  au  dossier:  <l  Tout  ce  qui  est  APPRIS 
par  ïun  est  communiqué  à  F  autre...  » 

Le  général  Mercier  n'est  pas  sans  avoir 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  105 

mesuré  la  distance  entre  les  deux  phrases. 

Page  85.  —  Le  général  Mercier  argu- 
mente de  la  pièce  ci-dessus  :  Ces  renseigne- 
ments nous  indiquent  quau  commencement 
de  1894... 

Dans  la  brochure,  il  affirme  :  D'AUTRES 
RENSEIGNEMENTS  CONCORDAIENT 
AVEC  CEUX-LA.  Au  commencement  de 
1894,  etc. 

S'il  y  avait  d'autres  renseignements  con- 
cordants, pourquoi  ne  l'avoir  pas  dit  à  la 
barre  ? 

Page  88.  —  Voici  ce  que,  de  l'audience  à 
la  brochure,  devient  l'entrevue  avec  l'expert 
Gobert,  racontée  ou  écrite,  par  le  général 
Mercier  :  «  A  première  vue,  il  {Gobert)  dit 
que  le  doute  NE  LUI  PARAISSAIT  PAS 
POSSIRLE  et  qu'il  croyait  pouvoir  affirmer 
que  le  bordereau  était  DE  LA  PERSONNE 
INCRIMINÉE...  » 

Dans  la  brochure  :  «  A  première  vue,  il 
dit  que  le  doute  N'ÉTAIT  PAS  POSSIRLE 
et  qu'il  croyait  pouvoir  affirmer  que  c'était  de 
la  MAIN  DE  DREYFUS!  » 


106  QUELQUES  DESSOUS 


Page  92.  —  A  propos  d'une  lettre  de 
M.  Charles  Dupiiy,  le  général  Mercier  s'ex- 
prime ainsi  :  ce  Par  conséquent^  vous  voyez 
que  M.  Dupuy  me  demande  dans  cette  lettre 
un  certificat  d'anti-dreyfusisme,  certificat  que 
je  me  suis  empressé  de  lui  envoyer^  car  il  le 
méritait  complètement  à  cette  époque. . .  » 

Dans  la  brochure,  cet  alinéa  est  modifié 
de  la  sorte  :  «  Ainsi,  M,  Charles  Dupuy  me 
demandait  de  lui  décerner,  pour  lui  ET  POUR 
LE  CABINET  qu'il  présidait^  un  certificat 
d' anti-drey fusisme  que  je  m' empressai  de  lui 
donner^  car  il  y  avait  entièrement  droit  à  cette 
époque.  » 

La  modification  a  son  importance.  Si  le 
général  avait  mis  en  cause  à  l'audience  le 
cabinet.,  qui  comprenait  MM.  Poincaré  et 
Barthou,  cela  aurait  pu  amener  quelques 
questions  de  la  défense. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  107 


îj' 

;    ^ 


Page  95.  — A  l'audience,  le  général  Mer- 
cier n'ose  pas  trop  s'avancer,  en  ce  qui 
touche  à  l'empereur  d'Allemagne  qui 
((  s'occupe  SOUVENT  personnellement  des 
affaires  exceptionnelles  cF espionnage,..  » 

Dans  la  brochure,  l'empereur  d'Alle- 
magne ((  s'occupe  personnellement.,  etc.  » 

SOUVENT  est  supprimé.  C'est-à-dire  que 
l'empereur  d'Allemagne  s'occupe  réguliè- 
rement, etc. 

Il  est  donc  certain  que  M.  Mertian  de 
MuUer  a  vu  dans  un  château  de  Potsdam, 
dans  le  cabinet  de  travail  de  l'empereur, 
sorti  tout  exprès  pour  laisser  aux  touristes 
le  temps  de  fouiller  sa  correspondance,  un 
numéro  de  la  Libre  Parole  qui  portait  au 
crayon  rouge  :  Capitan  Dreyfus  ist  gefan- 
gen.,. 


108    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 


Page  95.  —  Sur  la  communication  de 
pièces  secrètes,  le  général  Mercier  prononce 
cette  phrase  :  D'autre  part,  la  Cour  de  cas- 
sation se  base  sur  ce  que  J'AI  REFUSÉ  DE 
RÉPONDRE. 

Dans  la  brochure,  on  lit  :  ...La  Cour  de 
cassation  se  base  sur  ce  que  JE  iY'A/  FA  IT' 
AUCUNE  RÉPONSE... 

La  seconde  version  est  moins  près  de  la 
vérité  que  la  première.  M.  le  général  Mer- 
cier a  le  sens  des  nuances. 

Page  97.  —  M.  le  général  Mercier  n'aime 
pas  tous  les  jours  les  parenthèses.  Con- 
frontez la  sténographie  et  la  brochure  : 
«  ...Nous  sommes  restés  pendant  quatre  heures 
et  demie  à  attendre  si  la  paix  ou  la  guerre  allait 
sortir  de  cet  échange  de  communications  (entre 
M.  de  Miinster  et  l'empereur  d'Allemagne). 

{M.  Casimir-Perier  fait  un  GESTE  DE 
DÉNÉGATION.  Sensation.) 

Dans  la  brochure,  toute  la   parenthèse 


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Se 
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QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCES  DE  RENNES      111 

est   supprimée,    supprimé  le    GESTE    DE 
DÉNÉGATION... 

Et  M.  le  général  Mercier  continue  :  Vous 
voyez,  messieurs^  que  nous  avons  été  à  deux 
doigts  de  la  guerre, 

{M.  Casùnir-Perler  fait  un  geste  pour  de- 
mander la  parole.) 

Dans  la  brochure,  la  parenthèse  encore 
s'évanouit,  et  pour  cause. 

Page  103.  —  Sur  des  aveux  qui  auraient 
été  faits  en  présence  de  Du  Paty,  le  général 
Mercier  n'est  pas  solidement  fixé.  Il  prête  à 
Dreyfus  ces  paroles  :  «  Ces  deux  attachés 
militaires,  je  voudrais  leur  planter  un  poignara 
DANS  LA  TÊTE.  » 

A  la  réflexion,  qu'il  ne  s'agissait  pas  de 
Rochefort  aux  araignées  empoisonnées  ou 
de  Drumont  aux  chemises  soufrées,  mais 
du  capitaine  Dreyfus,  le  général  Mercier 
change  la  place  du  poignard  et  imprime  dans 
la  brochure  :  «  ...Je  voudrais  leur  plonger 
un  poignard  DANS  LA  GORGE  l  »  Ce  qui 
est  bien  banal,  pour  un  nationaliste  —  mais 
plus  vraisemblable. 


112  QUELQUES  DESSOUS 


>!î   >!< 


Page  103.  —  Toujours  sur  les  aveux  : 
((  Tai  envoyé  M.  Lebrun- Renault  au  président 
de  la  République  et  au  président  du  Conseil 
pour  leur  répéter  la  scène  des  aveux.  Or,  cette 
scène  extraordinaire  ne  leur  a  p^as  été  répétée. 
Pourquoi!  Parce  que  31.  le  président  de  ta 
République  et  M.  le  président  du  Conseil,  encore 
sous  r émotion  très  vive  de  la  scène  que  je  vous 
ai  racontée  et  des  menaces  de  guerre  imminente 
avec  l'Allemagne  y  étaient  hypnotisés...  » 

[M.  Casimir-Perier proteste...) 

Cette  parenthèse,  naturellement,  est 
allée  rejoindre  ses  aînées. 

Dans  la  brochure,  vous  en  chercherez 
vainement  la  trace. 

Page  104.  —  Et  les  parenthèses  de  Jaurès 
étaient  traitées  comme  celles  du  président 
de  la  République.  Ecoutez  le  général  Mer- 
cier :  ((  Le  gouvernement  était  attaqué  en  par- 
ticulier par  M.  Jaurès.  » 


DU  PROCES  DE  RENNES  113 

(il/.  Jaurès  se  lève  POUR  PROTESTER 
et  /ait  de  VIVES  DÉNÉGATIONS.) 

Ces  vives  dénégalioas  n'ont  pas  snrvécu 
à  l'andience,  enterrées  par  le  général  Mer- 
cier qni  n'en  souffle  mot  dans  la  brochure. 


Page  115.  —  Dans  une  lettre  au  général 
Mercier  du  général  Yanson,  lue  à  l'au- 
dience, il  y  a  :  «  Le  capitaine  Dreyfus, 
ENTRE  AUTRES,  critiquait...  » 

Dans  la  brochure,  c'est  :  ((  Le  capitaine 
Dreyfus  critiquait...  » 

Le  général  Mercier  a  déchargé  la  sténo- 
graphie des  mots  «  ENTRE  AUTRES  », 
pour  charger  le  capitaine  Dreyfus  ! 

Page  IIG.  —  Toujours  ce  souci  de  l'exac- 
titude, de  l'heure  militaire.  Devant  les 
membres  du  Conseil  de  guerre,  le  général 
Mercier  rapporte  :  ((  Le  témoignage  du  com- 
mandant Cuignet,  qui  têmoigneia  devant  vous 
que  le  capitaine  Dreyfus  est  venu  lui  demander 
de  lui  faire  une  conférence  QUL  A  DURÉ 


114  QUELQUES  DESSOUS 

JUSQU'A   TROIS   HEURES  ET  DE- 
MIE.., » 

Dans  la  brochure,  on  trouve  :  a  ...  Unecon- 
férence  QUI  A  DURÉ  TROIS  HEURES 
A  TROIS  HEURES  ET  DEMIE  l  » 


Page  116.  —  Suivant  qu'il  a  besoin  ou 
peut  se  passer  des  gens,  le  général  Mercier 
allonge  ou  abrège  les  épithètes.  A  l'au- 
dience, où  il  fallait  amadouer  le  com- 
mandant Ducros,  témoin  adverse,  le  gé- 
néral Mercier  avait  proféré  ces  louanges  à 
son  adresse  :  «  ,..  J'avais  laissé  de  côté  le 
canon  du  commandant  Ducros,  quoiqu'il  réalisât 
un  progrès  TRÈS  SÉRIEUX,..   » 

Dans  la  brochure,  où  il  n'était  pas  à  sup- 
poser que  le  commandant  Ducros  irait 
chercher  des  éloges  —  et  puis  le  témoin 
aurait  déposé  quand  elle  paraîtrait  —  les 
épithètes  aimables  ont  disparu,  le  TRÈS 
SÉRIEUX  qui  s'était  échappé  des  lèvres  du 


DU  PROCÈS  DE  REiNNES  115 

général   Mercier    n'est   pas    tombé    de    sa 
plume. 


* 
*  * 


Page  121.  —  Encore  un  petit  tour  de 
passe-passe  —  du  doute  à  la  certitude  — 
de  la  sténographie  sincère  au  compte  rendu 
revisé.  Quand  le  général  Mercier  parle, 
c'est  :  ((  Mais,  à  mon  avis^  ce  n'est  pas  la  note 
QUI  A  DU  ÊTRE  ENVOYÉE,  » 

Dans  la  brochure,  quand  le  général  Mer- 
cier écrit,  c'est  :  «  Mais^  à  mon  avis,  ce  n'est 
pas  la  note  QUI  A  ÉTÉ  ENVOYÉE.  » 


^  ^ 


Page  143.  —  Le  mensonge,  la  perfidie,  le 
faux  se  jouent  entre  les  deux  textes,  entre 
l'oral  et  l'écrit  du  général  Mercier. 

Il  devait  terminer  par  la  lâcheté.  Sur  la 
fin  de  son  témoignage-réquisitoire,  le  gé- 
néral Mercier  proclamait  :  «  Si  le  moindre 
doute  avait  effleuré  mon  esprit,  messieurs,  je 


116  OL'ELQUES  DESSOUS 

serais  le  premier  à  vous  le  déclarer  et  à  dire 
devant  vous  au  capitaine  Dreyfus  :  Je  me  suis 
trompé  de  bonne  foi. . .  » 

LE  CAPITAINE  DREYFUS  (SE  LE- 
VANT, AVEC  FORCE).  —  C'est  ce  que 
vous  devriez  dire.  (APPLAUDISSE- 
MENTS.) 

Dans  la  brochure,  le  général  Mercier  n'a 
pas  osé  rapporter  le  geste  de  la  victime  se 
dressant  contre  le  bourreau,  aux  applaudis- 
sements de  la  salle. 

Le  général  Mercier  a  biffé  les  paren- 
thèses. 


*  * 


Le  général  Mercier  nous  avait  de  long- 
temps habitués  aux  pires  audaces  de  sa 
part.  On  verra  qu'il  s'est  surpassé  encore, 
à  Rennes.  Cependant,  il  faut  limiter  nos 
citations. 

Ce  par  quoi  le  général  Mercier  mérite 
les  suffrages  sans  réserve  des  bandits  de 
Vaffaire^  ce  par  quoi  le  général  Mercier  est 


DU  PROCES  DE  RENNES  117 

le  plus  digne  de  commander  aux  faussaires 
de  l'Etat-Major,  c'est  par  son  entrain  à 
altérerles  textes.  Il  semble  que  cela  soitinné 
chez  lui,  tant  il  procède  avec  persistance 
et  régularité.  Il  ne  peut  pas  apercevoir  une 
ligne  qui  le  gène,  sans  la  tordre  tout  de 
suite  à  sa  convenance.  Les  remarques  pré- 
cédentes ont  pu  montrer  combien  peu  il 
s'embarrassait  des  obstacles.  Celles  qui 
suivent  fourniront,  je  pense,  un  exemple 
plus  accentué  encore  de  sa  méthode. 


Le  général  Mercier  a  trouvé  moyen  de 
falsifier  encore  ((  le  faux  Schneider  ». 

A  l'audience  du  12  août,  le  général  Mer- 
cier, pour  confirmer  une  déclaration  du 
colonel  Sandherr,  demandait  à  M.  le  prési- 
dent du  Conseil  de  guerre  de  vouloir  bien 
faire  lire  la  pièce  que  voici  (1). 

(1)  Le  général  Mercier  s'est  plaint  que  la  sténographie 
eût  mal  rapporté  ses  paroles.  Il  aurait  dit  :  «  Je  deman- 
»  clerai  au  président  du  Conseil  de  vouloir  bien  faire  lire 

7. 


118  QUELQUES  DESSOUS 

Le  greffier  Coupois  donne  lecture  de  la 
pièce  suivante  (1)  : 

«  Paris,  30  novembre  1897. 

»  On  avait  déjà  émis  bien  des  fois  pa- 
reille supposition  que  le  traître  EST 
AUTRE  que  Dreyfus  et  je  ne  serais  pas 
revenu  là-dessus  si  depuis  un  an  je  n'avais 
appris  par  des  tierces  personnes  que  des 
attachés  militaires  allemand  et  italien  au- 
raient soutenu  la  même  thèse  dans  les  sa- 
lons à  droite  et  à  gauche.  Je  m'en  tiens 
toujours  et  encore  aux  informations  pu- 
bliées dans  le  Temps  au  sujet  de  l'affaire 
Dreyfus.  Je  continue  aies  considérer  comme 
justes  et  estime  que  Dreyfus  a  été  en  rela- 
tions avec  des  bureaux  confidentiels  alle- 
mands de  Strasbourg  et  de  Bruxelles,  que 

»  Vextrait  que  voici  cVun  rapport  adressé  à  son  gouver- 
»  nement  par  le  colonel  Schneider,  attaché  militaire  à 
»  Paris.))  Les  sténographes  ont  maintenu  leur  version. 
Le  général  Mercier,  dans  son  compte  rendu  en  bro- 
chure, a  rapporté  la  sienne. 
(1)  Rapport  Schneider,  dans  la  brochure  Mercier. 


DU  PIIOGÈS  DE  RENNES  119 

le  grand  Etat-Major  allemand  cache  avec 
un  soin  jaloux  même  à  ses  nationaux.  » 

Le  président.  —  Quelle  est  la  date  de 
cette  pièce? 

Le  général  Mercier.  —  30  novem- 
bre 1897  (1). 

(I)  La  question  et  la  réponse  sont  supprimées  dans  la 
brochure  Mercier. 

C'est  que  le  Figaro,  qui  publiait  chaque  jour  un 
compte  rendu  sténographique  des  débats,  avait  reçu 
le  17  août  la  dépêche  suivante  : 

Figaro,  Paris. 

Ems,  17  août,  10  h.  20. 

Lettre  du  30  novembre  1897,  attribuée  à  moi  et  repro- 
duite dans  le  Figaro,  le  mercredi  16  août,  est  un  faux. 

Colonel  SCHNEIDER. 

Cette  dépêche,  publiée  dans  son  numéro  du  18  août, 
était  suivie  des  lignes  que  voici  : 

«  Nous  transmettons  cette  dépêche  au  colonel 
Jouaust,  président  du  Conseil  de  guerre  de  Rennes, 
qui  n'hésitera  certainement  pas  à  mettre  le  général 
Mercier  et  le  général  Roget  en  demeure  de  s'expliquer 
Sur  la  production  de  ce  faux. 

((  F.  » 

Quelques  jours  après,   le  Figaro  insérait    la   lettre 
ci-dessous  : 
«  Le  colonel  Schneider,  attaché  militaire  à  l'ambas- 


120  QUELQUES  DESSOUS 

Voici  maintenant  la  lettre  telle   qu'elle 
est  publiée  dans  la  brochure  Mercier  : 

«  Paris,  30  novembre  1897. 

»  On  avait  déjà  émis  bien  des  fois  pa- 

sade  d'Autriche-Hongrie,  est  arrivé  hier  à  Paris  et  nous 
a  adressé  la  lettre  suivante  : 

AMBASSADE  22  août  1899. 

d'autrighe-hoxgrie 

Attaché  militaire. 

«  Monsieur  le  rédacteur  en  cJief  du  Figaro, 
.  «  Le  17  de  ce  mois,  j'adressais  au  Figaro  le   télé- 
gramme suivant  : 

«  Lettre  du  30  novembre  1897,  attribuée  à  moi  et 
»  reproduite  dans  le  Figaro  le  mercredi  16  août,  est  un 
»  faux.  )) 

(c  Puisque  vous  avez  bien  voulu  le  publier,  je  vous 
prie  aujourd'hui  d  y  ajouter  ceci  : 

;>  Le  30  novembre  1897,  mon  opinion  était  absolument 
contraire  à  celle  qui  se  trouve  exprimée  dans  la  pièce 
en  question. 

»  L'apposition  de  la  date  susdite  et  de  ma  signature 
au  texte  que  Ton  m'attribue  constitue  un  faux. 

)>  Ce  faux  subsisterait  même  dans  le  cas  où,  ce  dont 
je  ne  puis  juger  sans  l'avoir  sous  les  yeux,  le  texte 
lui-même  émanerait  de  moi  à  une  autre  date. 

»  Agréez,  monsieur  le  rédacteur  en  chef,  etc. 

»  Signé  :  Colonel  Schneider.  » 


DU  PROCES  DE  RENNES  121 

reille  supposition  que  le  traître  N'EST 
AUTRE  que  Dreyfus  et  je  ne  serais  pas 
revenu  là-dessus  si  depuis  un  an  je  n'avais 
appris  par  des  tierces  personnes  que  des 
attachés  militaires  allemand  et  italien  au- 
raient soutenu  la  même  thèse  dans  les  sa- 
lons à  droite  et  à  gauche.  Je  m'en  tiens 
toujours  et  encore  aux  informations  pu- 
bliées dans  le  Temps  au  sujet  de  l'affaire 
Dreyfus.  Je  continue  à  les  considérer  comme 
justes  et  estime  que  Dreyfus  a  été  en  rela- 
tions avec  des  bureaux  confidentiels  alle- 
mands de  Strasbourg  et  de  Bruxelles  que  le 
grand  Etat-Major  allemand  cache  avec  un 
soin  jaloux  même  à  ses  nationaux.  » 

Je  suppose  qu'il  n'est  pas  besoin  de  com- 
mentaire, et  que  la  différence  effroyable  des 
deux  textes  saute  à  l'esprit  comme  aux 
yeux.  Est-ce  là  falsifier  un  texte,  ou  non? 
Et  pourquoi?  Pour  tenter  de  rejeter  à  l'Ile 
du  Diable  un  innocent.  On  envoie  au  bagne 
l'employé  besogneux  qui  a  mis  un  chiffre  à 
la  place  d'un  autre,  dans  sa  comptabilité, 
pour  voler  quelques  francs.  L'ancien  mi- 


122  QUELQUES  DESSOUS 

nistre,  le  général,  le  témoin  qni  a  juré  de 
dire  la  vérité,  peut  mentir,  tromper,  altérer 
les  pièces...  Il  ne  s'agit  que  de  l'honneur, 
de  la  liberté  et  de  la  vie  d'un  homme...  Le 
général  Mercier  est  libre. 


*  '1- 


Avec  la  même  impudence,  le  général 
Mercier  tronque  la  lettre  Damjnon^  pour 
les  besoins  de  son  argumentation. 

Voici  le  texte  qu'il  remet  au  greffier 
Coupois,  qui  lit,  et  la  pièce  est  versée  au 
dossier  —  authentiquée  ainsi  : 

Le  greffier  Coupois  donne  lecture  de  la 
lettre  Davignon  ainsi  conçue  : 

Lettre  Davignon,  Janvier  1894.  a  Je  viens 
encore  d'écrire  au  colonel  Davignon  ;  si 
vous  avez  occasion  de  parler  de  la  question 
avec  votre  ami,  faites-le  particulièrement, 
EN  façon  que  Davignon  ne  VIENT  pas  à 
le  savoir.  » 

(Dans  la^brochure,  il  y  a  :  DE  façon  que 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  123 

Davignon  ne  VIENNE  pas  à  le  savoir.  Mais 
ceci  est  une  vétille.) 

Cette  lettre  est  incomplète.  Il  y  manque 
la  phrase  ci-dessous  : 

((  DU  RESTE,  IL  N'Y  RÉPONDRAIT 
PAS  ;  CAR  IL  FAUT  JAMAIS  FAIRE 
VOIR  QU'UN  AGENT  S'OCCUPE  DE 
L'AUTRE  » 

qui  détruit  tout  le  raisonnement,  d'ailleurs, 
fort  hasardeux,  qu'avait  essayé  le  général 
Mercier,  d'après  la  lettre  tronquée  —  c'est-, 
à-dire  falsifiée. 


Il  n'est  pas  jusqu'au  texte  du  bordereau 
qui  n'ait  été  remanié  par  le  général  Mer- 
cier. Ce  qui  éclaire  certaines  discussions 
demeurées  troubles. 

Ainsi,   le  lieutenant-colonel   Rrongniart 
interrogeait  le  commandant  Hartmann  : 
•      ••••..      ...•••• 

Le  lieutenant-colonel  Rrongniart.  — 
Il  a  été  fait  en   1894,  c'est  bien  reconnu, 


124  QUELQUES  DESSOUS 

des  copies  et  des  extraits  du  Manuel  de  tir; 
mais  ce  qui  est  offert  par  le  bordereau, 
c'est  le  document  lui-même,  le  document 
authentique  et  complet.  Puisqu'il  est  ques- 
tion de  le  PRENDRE,  c'est  qu'on  ne  l'a 
pas  sous  la  main.  Une  copie,  on  l'aurait 
sous  la  main.  Il  n'est  pas  question  de  se 
le  faire  envoyer,  mais  de  le  prendre. 

Comment  expliquez-vous  que  le  comman- 
dant Esterhazy  aurait  été  à  même  de  prendre 
ainsi  à  volonté  un  document  authentique 
et  complet? 

Le  commandant  Hartmann.  —  Voulez- 
vous  bien  me  rappeler  le  texte  du  borde- 
reau ?  Je  ne  l'ai  pas  suffisamment  présent 
à  la  mémoire. 

L huissier  remet  au  commandant  Hartmann 
le  texte  du  bordereau. 

Il  y  a  ceci  :  «  Ce  dernier  document  est 
extrêmement  difficile  à  se  procurer  et  je  ne 
puis  ravoir  à  ma  disposition  que  très  peu  de 
jours...  Si  donc  vous  voulez  y  prendre  ce  qui 
vous  intéresse  et  LE  tenir  à  ma  disposition 
après,  je  le  prendrai.  » 


DU  PROCES  DE  RENNES  d2S 

Je  crois  que  prendre  s'applique  aux  ren- 
seignements que  le  correspondant  pourrait 
prendre  dans  le  Manuel. 

Le    LIEUTENANT-COLONEL     BrONGNL\RT.    

Non.  Ma  question  est  relative  aux  mots  y^ 
le  prendrai. 

Le  commandant  Hartmann.  —  J'ai  com- 
pris que  l'auteur  du  bordereau  disait  à  son 
correspondant  qu'il  lui  envoyait  effective- 
ment le  Manuel  et  qu'il  le  reprendrait  chez 
lui,  après  que  celui-ci  y  aurait  pris  ce  qui 
l'intéresserait. 

Le  lieutenant-colonel  Brongniart.  — 
Non.  Il  n'y  a  pas  :  «  Je  le  reprendrai  !  » 
Il  y  a  :  «  Je  le  prendrai.  »  C'est-à-dire  : 
((  Je  le  ])rendrai  pour  vous  l'envoyer.  » 

Le  commandant  Hartmann.  —  Je  n'ai 
jamais  compris  de  cette  façon. 

Le  lieutenant-colonel  Brongniart.  — 
L'auteur  du  bordereau  ne  l'envoie  pas  et 
il  dit  :  ((  Si  vous  voulez  bien,  je  vous  en 
enverrai  une  copie,  ou  bien  je  le  prendrai 
pour  vous  l'envoyer.  » 

Le    commandant    Hartmann.    —   Je    me 


126  QUELQUES  DESSOUS 

permettrai  de  n'être  pas  de  cet  avis.  Je 
comprends  :  «  Si  vous  voulez  le  tenir  à  ma 
disposition  après,  je  le  prendrai  chez 
vous.  )) 

De  même  le  capitaine  Beauvais  : 

Le  capitaine  Beauvais,  au  témoin.  — 
Vous  venez  de  dire  que  vous  pensiez  que 
le  Manuel  avait  été  envoyé  par  l'auteur  du 
bordereau  à  son  destinataire,  puisque  vous 
avez  compris  :  «  Je  le  reprendrai.  » 

Le  commandant  Hartmann.  —  Oui,  mais 
sur  cette  question  on  ne  peut  faire  que  des 
hypothèses,  et  j'ai  considéré  toujours  ce 
point  comme  assez  peu  important.  C'est 
pourquoi  je  n'en  ai  pas  parlé  dans  ma  dé- 
position. Il  faut  remarquer  que,  dans  le 
bordereau,  le  «  à  moins  que  »  de  la  der- 
nière phrase  comporte  une  alternative  qui 
peut  porter  soit  sur  l'envoi  du  Manuel,  soit 
sur  le  fait  d'y  prendre  des  renseignements. 
Il  y  a  deux  interprétations  possibles. 

Ou  bien  :  «  Je  vous  envoie  le  projet  de 
Manuel  ;  vous  y  prendrez   des  renseigne- 


DU  PROCES  DE  RENNES  127 

ments,  à  moins  que  vous  ne  vouliez  que 
je  le  fasse  copier  »,  ou  bien  :  «  Je  vous 
envoie  le  projet  de  Manuel,  à  moins  que 
vous  ne  préfériez  que  je  le  garde  pour  vous 
le  faire  copier.  » 

La  divergence  d'opinions  provient  de  ce 
que  le  commandant  Hartmann  s'appuyait 
sur  le  texte  du  bordereau  —  tandis  que  les 
juges  se  fiaient  au  texte  du  bordereau  — 
approprié  par  Mercier  : 

((  —  Je  remarquerai  en  outre  que  la  der- 
nière phrase  : 

«  Si  vous  vouiez  y  prendre  ce  qui  vous  inté- 
resse et  VOUS  tenir  à  ma  disposition  après,  je 
le  prendrai^  à  moins  que  vous  ne  vouliez  que  je 
le  fasse  copier,..  » 

Evidemment,  suivant  qu'on  lit  «  VOUS 
tenir  à  ma  disposition  »  ou  «  LE  tenir  »  —  LE 
bordereau  —  les  hypothèses  sur  je  le  pren- 
drai peuvent  plus  facilement  varier. 

Naturellement,  c'est  la  version  créée  par 
le  texte  —  FAUX  —  du  général  Mercier, 
que  le    lieutenant-colonel    Brongniart,    le 


-=-  5  — 

les  publications  qui  en  ont  été  faites  à  la 
suite  des  procès  précédents;  mais  je  vous 
prierai,  dans  le  cas  où  mes  explications  vous 
paraîtraient  trop  brèves  et  insu  ITi  santé  s  sur 
certains  points,  de  vouloir  bien  me  demander 
de  les  conjpléter. 

Dès  que  i'ai  pris  possession  du  minislère  ^ 
de  la  guerre  (c'était  au  ronimencomcmt  484 
ao-  4  893)  le  colonel  Sandherr,  chef  de  la  section 
de  stalistique,  me  prévint  que  la  situation 
devenait  de  plus  en  plus  grave  au  point  de 
vue  de  l'espionnage,  qu'il  y  avait  un  vaste 
système  d'espionnage  organisé  autour  de 
nous,  qu'autrefois  le  chef  de  cet  espionnage 
allemand  ét".it  un  civil,  mais  (pie,  depuis 
quelque  temps,  l'employé  civil  avait  disparu 
et  que  le  chef  de  l'espionnage  allemand  était 
désormais  l'altaclié  militaire  à  Paris,  M.  le 
colonel  de  Schwarizkoppen. 

Il  me  prévint,  en  outre,  que  l'attaché  mili 
taire  allemand  était  puissamment  secondé 
par  l'attaché  militaire  italien,  le  commandant 
Panizzardi.  11  me  dit  qu'il  existait  à  Paris  un 
bureau  d'espionnage  très  bien  organisé,  sous 
la  direction  du  colonel  de  Schwartzi<^oppen  ; 
qu'il  en  existait  un  autre  h.  Bruxelles,  sous  la 
direction  du  colonel  do  M...  attaché  militaire 
ùiîruxelles;  et  enfin  qu'il  yen  avait  un  à  Stras 
bourg  et  que  ces  trois  bureaux  d'espionnage 
avaient  des  relations  fréquentes  entre  eux. 

Pour  contirmercetledéclaration  du  colonel 

s,  Sandherr,  je  demanderai  au    président    du 

Conseil  de  vouloir  bien  faire  lire  l'extrait  que 

voici  d'un  rapport  adressé  à  son  Gouverne- 


^J.  /<^>^t^ 


Fac-similés  de  la  brochure  remise  par  le  génér 

du  Consi 


_   100  — 

au  i"  avril  au  nouveau  plan  de  manière  à  ne 
pas  être  obligé  de  le  refaire. 

Cette  étude  fut  faite  dans  les  bureaux  de 
l'étal-major  général. 

Il  sembla  que  ce  travail  pût  être  réalisé; 
et  malgré  les  observations  très  sérieuses 
faites  par  le  3'  bureau,  le  principe  fût  adopté 
à  la  dale  du  22  mai. 

A  cette  date,  le  3°  bureau  envoya  au  4"  un 
tableau  contenant  la  nomenclature  complète 
des  troupes  de  couverture  avec  l'indication 
de  leurs  zones  de  concentration  et  de  leurs 
points  de  débarquement.  ' 

Communication  de  ce  travail  fut  donnée 
au  G"  corps  le  25  mai.  Le  21  juin,  le  minis- 
tre envoya  aux  différents  corps  d'armée  l'état 
des  troupes  de  couverture  qu'ils  avaient  à 
fournir,  mais  en  leur  indiquant  simplement 
la  date  et  l'heure  sans  leur  indiquer  ni  la 
destination  ni  l'affectation. 

J'appelle  toute  votre  attention  sur  ce  que 
ces  deux  communications  du  25  mai  au 
6'  corps,  et  du  21  juin  aux  différents  corps, 
relatives  aux  troupes  de  couverture,  ne  por- 
taient aucune  mention  que  des  modifications 
devaient  être  faites  plus  lard  au  dispo- 
sitif des  troupes  de  couverture,  parce  qu'à 
ce  moment  on  croyait  fermement,  à  l'état- 
major  général,  que  ces  modifications  ne  se- 
raient pas  nécessaires. 

Le  secret  n'existait  donc  pas  encore. 

Mais  en  juillet  et  en  août,  on  s'aperçut,  à 
mesure  qu'on  creusait  l'idée,  qu'on  ne  pour- 
rait pas  arriver  à  faire  un  dispositif,  et  lo 

'.vexer ^  avec  corections  de  sa  main,  aux  membres 
guerre. 


130  QUELQUES  DESSOUS 

capitaine   Beauvais,    le  Conseil  de  guerre 
adoptaient... 


Eh  bien  !  ce  n'est  pas  la  déposition  sté- 
nographiée, ce  n'est  pas  même  la  brochure 
tripatouillée,  qui  a  été  déposée  chez  les 
juges. 

Il  parait  que  i.e  n'était  pas  encore  ça.  Ce 
n'est  pas  la  déposition  initiale,  ce  n'est  pas 
la  brochure  revue,  c'est  un  exemplaire  re- 
corrigê^  et  augmenté^  de  la  main  même  du 
général  Mercier,  qui  a  poursuivi,  jusque 
chez  eux,  les  membres  du  Conseil  de 
guerre  (l). 


* 
^  * 


Ce  fut  donc  une  déposition  inconnue  de 
l'accusé  et  de  ses  avocats,  qui  devint  le  vade 

(1)  Ces  surcharges,  plus  tard,  furent  collées  en 
feuillet  d'Errata,  à  la  fin  de  la  brochure  distribuée 
gratuitement  à  Paris  en  octobre  et  novembre. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  131 

mecum  des  juges  durant  le  procès.  Ils 
avaient  cette  petite  brochure  ckins  leur 
poche. 


Évidemment  ces  retouches  successives, 
ces  ajoutés  à  la  sténographie  d'abord,  à  la 
brochure  ensuite,  avaient  leur  importance. 

Sans  quoi,  pourquoi? 


* 
*  * 


(Vers  la  fin  du  procès,  Cavaignac  et  le 
général  Roget  crurent  devoir  imiter  l'élé- 
gante correction  du  général  Mercier. 

Ils  couchèrent,  sous  une  seule  couverture, 
leurs  réquisitoires  jumeaux,  propagés  aussi 
gratuitement  que  celui  du  général  Mercier.) 


D'où  vient  l'argent  ? 


132  QUELQUES  DESSOUS 


Et  c'est  évidemment  sans  entente  préala- 
l)le,  c'est  par  le  hasard  que  ces  trois  témoins^ 
non  contents  d'avoir  accablé  le  juif  à  l'au- 
dience, se  sont  retrouvés  dans  les  imprime- 
ries pour  dépêcher  dans  le  public  et  dans 
le  privé  —  ces  brochures  d'une  inspiration 
tout  évangélique  —  sans  les  réponses  qui 
y  avaient  été,  ou  qui  pouvaient  y  être  faites. 


Plus  haut,  nous  avons  signalé  que  les 
exemplaires  destinés  aux  juges  titulaires 
étaient  sous  couverture  jaune,  sous  couver- 
ture bleue  les  exemplaires  réservés  aux 
suppléants.  Le  volume  que  nous  connais- 
sons est  à  couverture  jaune.  Peut-être 
qu'il  va  se  rencontrer  à  Rennes,  comme  il 
s'en  est  levé  un  à  Paris,  un  Freystœtter... 

Qu'il  en  soit  ainsi  pour  l'honneur  de  l'hu- 
manité. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  133 


Le  général  Mercier  dévoilait  assez  en 
quelle  piètre  estime  il  tenait  l'intellect  des 
juges,  pour  oser  des  moyens  aussi  gros- 
siers :  les  mensonges  impudents,  les  faux 
les  plus  hardis  qu'il  fixait  sous  leurs  yeux, 
par  sa  brochure.  Il  fallait  qu'il  fût  bien 
certain  de  leur  faiblesse,  de  leur  incurable 
ignorance  ;  il  fallait  qu'il  fût  bien  assuré 
de  les  hypnotiser  de  son  grade,  de  son  uni- 
forme, de  ses  artifices  ! 


La  collusion  en  permanence. 

Après  ces  criminelles  familiarités  avec 
les  textes,  le  général  Mercier  ne  devait  pas 
s'embarrasser  de  quelques  collusions  de 
plus  ou  de  moins  avec  les  personnes. 

La  collusion,  elle  fut  constante  entre  le 


134  QUELQUES  DESSOUS 

général  Mercier  et  le  Conseil  de  guerre, 
entre  Mercier  et  les  témoins... 

(Mais  la  collusion  existait  presque  autant 
de  la  part  des  témoins  complices  ;  nous  le 
verrons  en  d'autres  paragraphes.) 

Quelquefois  le  général  Mercier  aurait  pu 
hésiter  à  intervenir  —  après  les  huis-clos 
où  il  n'avait  pas  assisté. 

Mais  il  était  rapidement  et  exactement 
renseigné  sur  ce  qui  s'y  était  passé,  par  des 
membres  du  Conseil  de  guerre  :  pour  s'en 
assurer,  il  n'y  a  qu'à  vérifier  avec  quelle 
aisance,  en  audience  publique,  il  aborde 
certains  points  du  huis-clos... 

Manifestement,  un  juge  suppléant,  le  lieu- 
tenant-colonel Lucas,  cousin-germain  du 
général  Lucas,  commandant  du  corps  d'ar- 
mée de  Rennes,  lui  a  prêté  ses  lumières. 


Leur  méthode. 

Du  reste,  le  général  -Mercier  a  défini  sa 
méthode  d'un  trait  : 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  135 

Un  jour,  pendant  une  suspension  d'au- 
dience, il  siffle  Carrière  comme  un  chien  : 

—  Carrière  ! 

—  Mon  général... 

—  Pourquoi  avez-vous  laissé  la  défense 
agir  ainsi  ? 

—  Mais,  je  ne  pouvais  pas  intervenir... 

—  Il  faut  toujours  intervenir. 


^ 
*  ^ 


Ce  fut  toute  sa  méthode  —  et  celle  du 
général  Regot  aussi. 

11  n'est  guère  d'audiences  où  ils  ne  soient 
apparus  à  la  barre. 


Le  respect  des  textes. 

Sans  reproduire  les  critiques  décisives 
qui  anéantissent  la  déposition  du  général 
Mercier,  une  ou  deux  remarques  encore. 
Par  exemple.  Le  général  Mercier  parle  de 


136  QUELQUES  DESSOUS 

la  dépêche  du  4  juillet  1894  aux  comman- 
dants de  corps  d'armée. 

Dans  la  dépêche,  il  y  a  :  ...  «  F  artillerie 
des  formations  de  campagne. . .  »  l'expression 
de  formation  de  campagne  s'appliquant  aux 
divisions,  aux  corps  d'armée. 

Le  général  Mercier  traduit,  intervertis- 
sant, par  :  «  ...  Formations  de  campagne  de 
V artillerie.,.  »  pour  rattacher  cela  au  para- 
graphe 3  du  bordereau  annonçant  «  une 
note  sur  une  modification  aux  formations  de 
r artillerie.  » 

Puis,  citant  toujours  la  dépêche  du  4  juil- 
let, le  général  Mercier  dit  :  «...  Augmen- 
tation des  batteries  de  120  dans  les  groupes  de 
campaf/ne  »  et  il  en  conclut  qu'il  y  est  bien 
question  des  formations  de  l'artillerie. 

Or,  ce  qu'il  y  a  dans  la  dépêche,  c'est: 
«  ...  Augmentation  d^ une  batterie  pour  chacun 
des  groupes  de  120  court  affecté  aux  for- 
mations de  campagne  du  nord-est...  »  Et  les 
formations  de  campagne  dont  il  s'agit  sont 
ici  encore  les  divisions,  les  corps  d'armée. 
Rien,  donc,  de  commun  avec  le  bordereau. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  137 

Le  général  Mercier  a  tôt  fait  d'arranger 
les  choses.  iVvec  le  mensonge,  le  faux  et  la 
mauvaise  foi,  —  acceptés  des  juges,  on  se 
tire  vite  des  pas  les  plus  difficiles. 


Un  coup  d'œil  encore,  sur  cette  déposi- 
tion (2),  à  propos  des  troupes  de  couverture. 

Dans  le  fameux  bordereau,  il  est  dit  : 
((  Quelques  modifications  seront  apportées  par 
le  nouveau  plan..,  (aux  troupes  de  couver- 
ture.) )) 

Une  dépêche  aux  commandants  de  corps 
d'armée  dit  :  «  Quelques  modifications  ont 
été  apportées  aux  centres  de  fabrication...  » 

(Il  s'agit  donc,  non  du  dispositif  des  troupes 
de  couverture^   mais...    des  boulangeries  l  II) 

Eh  !  bien,  le  général  Mercier  pour  rat- 
tacher le  bordereau  à  cette  dépêche  sup- 

(1)  Pages  93-94  de  la  brochure  contenant  sa  déposi- 
tion revisée. 

(2)  Page  101  de  la  brochure  contenant  sa  déposition 
revisée. 

8. 


1:î8  quelques  dessous 

prime  tranquillement:  centres  de  fabrication. 

Et  alors  il  conclut  que  le  bordereau  an- 
nonçant que  des  modifications  seront  ap- 
portées par  le  nouveau  plan  coïncide  avec 
la  dépêche  qui  dit  que  des  modifications  ont 
été  apportées...  Et  comme  cette  dépêche 
n'a  été  connue  que  de  l'Etat-Major,  et  que 
Dreyfus  était  à  l'État-Major  de  l'armée... 

Cela  coïncide  —  avec  cette  différence 
qu'il  est  question,  dans  le  bordereau,  du 
dispositif,  du  placement  des  troupes  —  et, 
dans  la  dépêche,  de  la  manutention! 


*  * 


Dnas  le  cas  même  où  le  général  Mercier 
n'eût  pas  donné  ce  croc-en-jambe  extraor- 
dinaire aux  textes  indiscutables,  pour  les 
faire  cadrer  — comment  tenir  compte,  dans 
l'espèce,  de  la  dépêche  du  15  octobre? 

Elle  est  frappée  des  pires  suspicions. 

Elle  est  partie  du  3*^  bureau. 

L'auteur  en  est  Du  Patv  de  Clam. 

Et  Du  Paty  de  Clam,  depuis  le  l*^'  octo- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  130 

bre,  est  transformé  en  officier  de  police 
judiciaire,  en  possession  du  bordereau. 

La  dépêche  est  du  15  octobre,  l'arresta- 
tion de  Dreyfus  a  été  décidée  l'avant-veille, 
le   13. 

Comment  oser  se  servir  de  cette  dépêche, 
répétant  les  mots  du  bordereau,  certifiant 
le  bordereau  accusateur  —  alors  qu'elle 
émane  de  Du  Paty  de  Clam  — le  «diaboli- 
que »  metteur  en  scène  de  la  pièce,  avec 
Henry. 


* 
^  ^ 


Le  capitaine  de  Somer, 

Personne  ne  doute  plus  de  l'audacieuse 
sérénité  avec  laquelle  le  général  Mercier 
piétine  les  témoignages  encombrants.  Ce- 
pendant, il  ne  faut  pas  se  lasser  d'en  citer 
des  exemples. 

Le  général  Mercier  dépose  (1). 

(1)  Page  79  de  sa  brochure. 


140      QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

«  Le  capitaine  de  Semer  étant  à  l'Ecole 
))  de  Pyrotechnie  constate  qne,  se  trouvant 
»  dans  l'omnibus  de  l'École  avec  Dreyfus, 
»  ce  dernier  se  plaignit  à  lui  d'avoir  été 
»  mis  à  la  porte  du  bureau  du  commandant 
»  Barbier,  sous-directeur  de  l'Ecole,  parce 
»  qu'il  y  était  à  une  heure  où  il  n'aurait  pas 
))  dû  y  être  et  paraissait  y  faire  des  choses 
»  iadiscrètes.  Ce  témoignage  est  mentionné 
»  dans  une  pièce  qui  fait  partie  du  dossier 
»  secret  et  qui  est  relative  à  la  livraison  de 
»  la  circulaire  relative  au  chargement  des 
»  obus  à  mélinite.  » 

Le  général  Mercier  se  garde  bien  d'ajou- 
ter que  le  commandant  Barbier  a  dit  :  «  Le 
fait  relaté  ci- dessus  est  complètement  sorti  de 
ma  mémoire...  » 

Il  est  vrai  que  les  juges  peuvent  se  re- 
porter à  V Enquête  de  la  Cour  de  cassation, 
à  la  plaidoirie  de  M^  Mornard,  au  dos- 
sier secret  où  le  général  Gonse  avait  pieu- 
sement recueilli  ces  attestations.  Mais  il  est 
infiniment  probable  qu'ils  n'iront  pas  voir, 
et  le  racontar  du  capitaine  de  Somer,  dédai- 


Jàeutenant-Colonel  Bertiii-Mourot. 


Le  Colonel  Jou;iu^t,  président  du  Conseil,  cl  lo 
Général  Billot. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES   (43 

gné  de  la  Cour  suprême,  le  général  Mercier 
le  maintient  hardiment,  comme  indubi- 
table. Ce  qu'il  omet  de  dire,  c'est  que 
le  capitaine  de  Somer  est  l'o.mi  intime 
de  la  famille  Billot-Wattines,  lequel  Wat- 
tines,  substitut,  opérait  au  cabinet  de  son 
beau-père,  lors  de  la  confection  du  dossier 
secret... 

Ce  qu'il  ne  dit  pas  non  plus,  c'est  que, 
avant  d'avoir  été  appelé  au  ministère, 
pour  verser  ce  fait  au  dossier  secret,  le  ca- 
pitaine de  Somer  l'avait  raconté  à  Ver- 
sailles. La  version  publique  différait  abso- 
lument de  la  version  secrète.  Le  comman- 
dant Barbier  «  Q.\ir'àii  (/ueiiié  contre  Dreyfus, 
un  jour...  » 

Et  c'était  si  grave,  ce  qui  l'avait  fait 
«g...  »,  que  «  le  fait  est  complètement  sorti 
de  la  mémoire  »  du  commandant  Barbier. 

((  Cette  déformation  des  souvenirs  », 
comme  M^  Mornard  appelait  si  doucement 
tant  de  suppléments,  de  modifications  ou 
de  retraites  de  mémoire  —  que  de  fois  en- 
core nous  la  rencontrerons» 


144  QUELQUES  DESSOUS 

Sur  cette  façon  de  «  servir  >)  un  témoi- 
gnage, on  pourrait  poser  au  général  Mer- 
cier la  question  de  ]\P  Labori  au  général 
Gonse  :  Croit-il  que  ce  soit  là  de  la  loyauté 
militaire?  ou  civile? 


Puis,  il  y  a  quelque  réserve  à  observer, 
sur  le  crédit  possible  aux  allégations  du  ca- 
pitaine de  Somer. 

Dans  un  conseil  de  discipline,  le  capitaine 
de  Somer  rapporte,  en  dehors  de  la  présence 
de  l'accusé,  qu'il  a  passé  par  une  maison  de 
correction. 

Le  conseil  écoute  cette  affirmation  qui 
influe  fortement  sur  la  décision.  L'accusé 
est  condamné,  à  la  majorité  des  voix. 

Le  lendemain,  pris  de  scrupule,  le  pré- 
sident va  interroger  l'individu,  qui  pro- 
teste. 

En  effet,  il  n'a  pas  été  dans  une  maison 
de  correction. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  145 

C'est  un  enfant  trouvé  —  élevé  à  l'hos- 
pice de  Bernay. 

M.  le  conseiller  Voisin  sait  quelque  chose 
de  cette  histoire... 

Le  condamné  n'en  est  pas  moins  à  Biribi  ! 


Le  général  Mercier 
sait  se  taire  à  F  occasion, 

La  ruse  du  général  Mercier  tablait  vo . 
lontiers  sur  l'ignorance  crasse  des  membres 
du  Conseil  de  guerre. 

Le  général  Mercier,  d'accord  avec  le  gé- 
néral Duchesne,  a  attribué  la  date  du 
29  août  au  rapport  de  la  commission  pour 
l'expédition  de  Madagascar. 

C'était  bien  ainsi,  quand  le  boidereau 
était  du  mois  d'avril.  Mais  quand  le  borde- 
reau fut  reculé  au  mois  d'août,  cela 
n'allait  plus  du  tout,  pour  le  paragraphe 
de  Madagascar.  Le  général  Mercier  ne 
se   déroutait   pas    pour   si   peu.    Le    rap 

9 


146      QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

port  a  été  terminé  le  29  août,  dira  Mer- 
cier (1),  mais  il  a  été  commencé  plus  tôt. 
Eh  bien  !  à  ce  moment-là,  cette  note  était 
entre  les  mains  du  commandant  du  Paty  de 
Clam,  qui  était  au  3''  bureau,  et  à  ce  mo- 
ment-là, au  mois  d'août  1894,  Dreyfus 
était  au  3*^  bureau.  Il  a  pu  avoir,  soit  par 
conversation  avec  Du  Paty  de  Clam,  soit  par 
indiscrétions  de  l'entourage  du  colonel  Du 
Paty  de  Clam  —  connaissance  de  tous  ces 
documents  relatifs  à  Madagascar, 

Voilà  qui  est  ingénieux,  comme  tou- 
jours. Mais  comme  toujours  cela  pèche  par 
quelque  endroit.  Un  commandant  Audry, 
de  la  commission,  a  écrit  que  le  rapport 
était  du  4  août  ■ —  il  fallait  que  Dreyfus  eût 
pu  savoir,  n'est-ce  pas?... 

Il  faudrait  s'expliquer  là-dessus.  Un 
témoin  insiste  sur  la  contradiction,  signale 
le  fait...  Mercier  ne  bronche  pas.  Et  les 
membres  du  Conseil  de  guerre  passent 
outre,  sans  interroger  du  Paty,  sans  pren- 

(1)  Page  89  de  sa  brochure. 


Quittant  le  Lycée. 


Le  général  Dcloye  et  le  général  Julliard. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS   DE  RENNES     149 

dre    la    peine  de  demander    aux   Affaires 
étrangères   un  renseignement  bien  simple! 


* 
^  * 


Le  générai  Deloye. 

Nous  reverrons  le  général  Mercier  aux 
prises  avec  le  capitaine  Freysteetter,  plus 
loin.  Tout  de  suite,  nous  voudrions  noter 
l'action  parallèle  à  la  sienne  du  général 
Roget,  du  général  Deloye. 

Le  général  Deloye,  directeur  de  Fartille- 
rie,  avait  eu  le  général  Julliard,  chef  du 
bureau  du  personnel  comme  collègue,  puis 
comme  subordonné.  C'est  au  général  Jul- 
liard qu'a  succédé  le  colonel  Meert.  Le 
général  Deloye  avait  donc,  à  Rennes, 
lui  aussi,  par  son  ancien  subordonné, 
de  sûres  intelligences  dans  la  place.  Il 
élait  bien  incapable  de  n'en  pas  profiter, 
de  même  qu'il  ne  s'était  pas  fait  faute  de 
tenter  d'influencer  par    le   colonel    Meert 


i:jo  quelques  dessous 

son  contradicteur,  le  commandant  Hart- 
mann. 

Le  général  Deloye  abrite  derrière  une 
apparente  bonhomie  le  plus  faux  des 
bonshommes  ;  c'est  lui  qui  a  dépouillé  Tur- 
pin  au  profit  de  Triponé.  C'est  le  maître 
Guérin  de  l'artillerie.  Il  y  a  une  autre  vic- 
time du  général  Deloye,  le  commandant 
Ply,  un  directeur  de  Pviteaux,  qui  s'est  sui- 
cidé. Le  lendemain  de  sa  mort,  le  général 
de  Saint-Germain  disait  à  qui  voulait  l'en- 
tendre, en  faisant  allusion  au  général  De- 
loye et  au  commandant  Gandin  : 

—  Faut-il  qu'ILS  L'aient  embêté  pour  le 
pousser  là! 

Le  général  Deloye  a  été  dépêché,  après 
la  déposition  Hartmann,  à  la  Cour  de  cas- 
sation. On  connaît  la  NOTE  perfide  de  ce 
général  tartare,  par  les  moustaches  et  les 
services;  c'est  ce  qu'il  appelle  ne  pas 
prendre  parti.  D'ailleurs,  il  ne  l'a  pas  sou- 
tenue, en  somme,  contre  le  commandant 
Hartmann.  l\  a  répondu  évasivement,  parsa 
fameuse  théorie  de  l'espion,  par  sa  thèse 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  loi 

de  ce  qu'on  peut  apprendre  dans  les  cafés, 
dans  les  pensions  —  reprise  par  le  com- 
mandant Rivais,  et  appuyée  par  Jouaust  : 
la  coïncidence  est  au  moins  curieuse.  Ex- 
pert technique,  se  prétendait-il,  rien  de 
plus,  l'impartialité  même.  Cependant,  il 
fonçait  furieusement  sur  Hartmann,  sur 
Fonds-Lamothe,  sur  Bruyerre.  Très  ficelle^ 
il  exige  le  huis-clos,  quand  les  démonstra- 
tions du  témoin  adverse  deviennent  trop 
pressantes,  dans  la  crainte  que  le  témoin 
«ne  livre  la  totalité  du  tout))^  selon  son  ex- 
pression tintamarresque. 

Oh!  le  général  Deloye,  ce  doux  artilleur, 
qui  ne  braque  ses  batteries  que  pour  la 
science,  ne  voudrait  pas,  oh!  non,  écoutez- 
le,  que  la  condamnation  de  Dreyfus  coulât 
de  sa  bonche,  mais,  affirme-t-il,  c'est  pour- 
tant ((  un  gros  seigneur  »  qui  a  renseigné 
l'Allemagne... —  (c  Un  gros  seigneur  »  — 
c'est-à-dire  le  capitaine  Dreyfus. 

M«  Guérin   et   M^  Pathelin... 

Et   ce   brave  homme,    dérangé    de     ses 
chères    études   (qui  pourraient  bien    coû- 


152  QUELQUES  DESSOUS 

ter  gros  à  la  France)  prend  le  temps, 
avant  d'y  retourner,  d'intervenir  comme 
on  a  vu  plus  haut,  et  d'intervenir  encore 
pour  repêcher  Valerio,  noyé  par  le  géné- 
ral Sehert,  MM.  Poincaré  et  Painlevé. 
Quel  lyrisme  dans  le  couplet  du  général 
Deloye  sur  les  officiers  sortis  des  rangs!  Il 
nous  avait  habitués  à  le  croire  de  sentiments 
moins  «  peuple  »,  quand,  au  Quatorze  Juil- 
let, il  donnait  ordre  à  la  troisième  direction 
de  ne  pas  se  rendre  au  bal  de  l'Elysée. 

Oh  !  que  le  général  Deloye  était  un  té- 
moin désintéressé,  un  artilleur,  rien  qu'un 
candide  artilleur  ! 

C'est  le  général  Deloye  qui  a  remis  le 
dossier  du  lieutenant  Bruyerre  au  général 
Roget,  venant  commenter  la  démission  de 
cet  officier,  —  et  le  général  Deloye  a  grave- 
ment enfreint  ses  devoirs  par  cette  com- 
munication... 

Mais  tout  est  permis  contre  Dreyfus... 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  153 


Les  comédies  du  huis-cios . 

On  abusait  du  huis-clos  au  point  que  le 
gouvernement  dut  protester.  Quelle  comé- 
die que  celle  du  dossier  secret  de  l'artille- 
rie !  Rien  de  confidentiel.  On  peut  défier  le 
ministre  de  la  guerre  d'en  produire  l'énu- 
mération. 

Cependant,  les  précautions  du  gouverne- 
ment, dans  certains  cas,  étaient  extraordi- 
naires —  s'il  faut  les  lui  imputer. 

La  défense  avait  fait  demander  au  mi- 
nistère des  documents  qui  lui  étaient  né- 
cessaires pour  répondre  au  général  Deloye. 

D'abord,  c'est  le  général  Deloye  qui  fut 
chargé  de  les  apporter  —  des  documents  qui 
devaient  le  confondre,  lui  l  C'est  lui  qui  les 
présenta  ! 

Ses  contradicteurs  les  feuilletèrent,  sans 
trouver  le  dessin  des  obus  allemands,  jus- 
tement, qu'ils  cherchaient. 

9. 


154  OrELQUES  DESSOUS 

Ce  n'est  qu'au  greiïe,  après  une  recher- 
che complète,  minutieuse,  que  le  docu- 
ment, inaperçu  au  huis-clos,  fut  découvert. 
On  avait  replié  la  feuille  à  l'envers,  FICELEE 
ET  COUSUE,  dissimulée  dans  le  tas,  aussi 
sûrement  que  le  serait  un  pétale  de  rose 
desséché  entre  deux  pages  collées  des  dix- 
huit  volumes  du  dictionnaire  Larousse  ! 

Mais  cela  ne  sert  de  rien  d'avoir  décou- 
vert cette  stupénante  supercherie. 

Le  commandant  Hartmann,  à  qui  l'on 
refuse  de  le  laisser  traiter  certain  point 
en  puhlic,  est  ohligé  de  réclamer,  alors,  le 
huis-clos.  Là,  il  veut  s'approcher  de  la 
tahle  du  Conseil  pour  faire  sa  démonstra- 
tion sur  les  dessins,  comme  cela  se  prati- 
quait toujours. 

—  C'est  inutile,  dit  Jouaust. 

Et,  comme  pour  l'audience  publique,  il 
fait  placer  le  témoin  à  la  barre,  à  une  dis- 
tance où  il  était  impossible  de  rien  mon- 
trer, et  de  rien  voir  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  153 


Le  général  Deloije  et  le  IManuel. 

11  a  bien  fallu  que  le  général  Deloye, 
comme  le  général  Mercier,  escomptât  la 
nonchalance  d'esprit  du  Conseil  de  guerre, 
à  certains  moments,  pour  jongler  avec  les 
questions  qui  lui  étaient  posées,  comme  il 
Ta  fait. 

Tout  de  même,  ceci  avait  de  l'impor- 
tance, à  propos  du  Manuel  de  th\  et  valait 
bien  d'exciter  la  curiosité  du  Conseil  : 

A  propos  des  fuites  de  Bourges,  bien 
après  1894,  le  colonel  Picquart  avait  si- 
gnalé (affaire  Corninge)  que  le  Manuel  de 
tir  de  1895  avait  été  vu  par  un  agent  entre 
les  mains  d'un  agent  diplomatique  étran- 
ger. L'agent  l'avait  marqué  d'un  signe,  pour 
que,  si  ce  manuel  retournait  aux  mains  du 
prêteur,  on  pût  le  reconnaître. 

Le  général  Deloye.  —  Je  sais  qu'à  ce 


156  QUELQUES  DESSOUS 

moment-là,  on  (c  nons  a  signalé  qu'un  Ma- 
))  nuel  de  tir  de  1895  avait  découché  [Rires.) 
»  et  qu'il  avait  été  au  passage  marqué  par 
))  l'agent  du  service  des  renseignements,  de 
»  façon  qu'on  pût  le  retrouver. 

»  J'avais  donc  indiqué  au  Conseil,  hier, 
»  qu'on  avait  rappelé  toute  la  catégorie  du  do- 
»  cument  dont  il  s'agit^  et  qu'on  n  avait  pas 
»  retrouvé  le  document  marqué.  (Mouvement.) 

»  Sous  la  réserve  de  la  réalité  de  cette  fuite 
»  qui  ne  m'est  pas  démontrée,  je  ne  connais 
))  pas  d' autres  faits  de  fuite  constatés  en  ce  qui 
»  concerne  r artillerie.  » 

Le  président.  — ^  Après  l'arrestation  du 
capitaine  Dreyfus,  il  n'en  a  pas  été  cons- 
taté davantage  ? 

Le  général  Deloye.  —  Non. 

Le  président.  —  Est-ce  que  les  Manuels 
de  tir  ont  été  complètement  retirés  ? 

Le  général  Deloye.  —  Oh\  ils  ne  sont 
pas  tous  rentrés. 

Tout  à  l'heure,  on  avait  rappelé  toute  la 
catégorie  du  document,  et  on  n'avait  pas 
retrouvé  le  document  marqué... 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  157 

Maiiiienant,  ils  ne  sont  pas   tous  rentrés.,. 
Passons  ! 


*    >iï 


Les  mystères  de  Bourges  1 

Qu6  d'objections  à  adresser  au  général 
Deloye,  comme  au  général  Mercier,  sur 
leur  affirmation  que,  seuij  Dreyfus  a 
pu,  etc.. 

Pas  de  fuites,  assurele  général  Deloye,  à 
Bourges  ! 

Et  il  y  a  des  espions,  tout  le  monde  le 
sait. 

Et  il  n'y  a  pas  besoin  d'être  un  «  gros 
seigneur  »  pour  fournir  les  renseigne- 
ments les  plus  compliqués. 

D'une  lettre  d'un  ancien  sous-offîcier 
d'artillerie  de  Bourges,  j'extrais  : 

((  J'étais  sous-offîcier  à  Bourges  en  1890- 
»  1893.  J'ai  connu,  ainsi  que  beaucoup 
))  d'autres,  le  principe  du  frein  hydro- 
))  pneumatique  ;  tout  le  monde  en  parlait. 


158  QUELQUES  DESSOUS 

))  Je  pourrais  même  dessiner  le  schéma 
»  de  ce  frein.  Tous  les  ouvriers  d'art,  tour- 
»  neurs  et  ajusteurs  de  la  Fonderie  de  ca- 
»  nous,  étaient  parfaitement  fixés  sur  ce 
»  point,  et  non  pas  seulement  quelques-uns 
»  comme  l'affirme  le  général  Mercier... 
»  Dès  1890,  on  parlait  à  Bourges,  dans  tous 
»  les  cabarets,  de  la  nouvelle  pièce  du  capi- 
»  taine  Baquet  —  ou,  du  moins,  on  lui  en 
»  attribuait  la  paternité  ;  —  on  la  décrivait 
»  dans  tous  les  détails,  le  frein  compris,  et 
»  les  ouvriers  de  la  Fonderie  ne  tarissaient 
»  guère  sur  ce  point  pour  se  rendre  impor- 
»  tants...  Naturellement,  les  officiers,  le 
»  général  Deloye,  le  ministre  ne  savaient 
»  rien  de  tout  cela,  dans  leur  douce  torpeur 
))  habituelle,  et  ils  croyaient  leur  ca- 
»  non  secret  en  1894...  Mais,  en  1891,  les 
))  Ecoles  à  feu,  au  37^  et  au  1'^'',  ont  eu  lieu 
»  avec  le  120  court,  pour  deux  batteries,  et 
))  je  crois  même  me  rappeler  que  beaucoup 
»  d'officiers  d'infanterie  sont  venus  voir  les 
»  résultats  obtenus  et  le  fonctionnement 
))  du   nouveau   canon.  Enfin,   les   officiers 


DU  PROCES  DE  RENNES  la9 

»  étrangers  les  oat  vus  aux  grandes  ma- 
»  nœuvres  de  l'Est,  de  septembre  1891... 
»  Nos  camarades,  les  sous-chefs  de  l'École 
»  de  Pyrotechnie,  recevaient  même  des  no- 
»  tions  à  ce  sujet,  et  la  description  du 
»  120  court  était  consignée  dans  leur  cours 
»  spécial  (1891-1892),  cours  imprimé  qu'ils 
»  emportaient  dans  leurs  régiments...  Il 
»  n'e^t  donc  pas  impossible  qu'un  major 
»  d'infanterie  ait  pu  réunir  des  renseigne- 
»  ments  à  ce  sujet...  » 


A  propos  de  foôiis  Robin. 

0  mystère  de  l'obus  Robin! 

Mais  chez  beaucoup,  chez  la  plupart  des 
officiers  qui  ont  assisté  à  des  tirs  à  feu,  il 
y  a  des  obus  Robin  —  l'enveloppe  ne  se  dé- 
truit pas. 

Les  officiers  les  emportent  —  en  souve- 
nir, pour  orner  leurs  logis;  ils  en  font  les 


160  QUELQUES  DESSOUS 

motifs  de  décoration  les  plus    variés,   des 
pendules  ou  des  porte-bouquets. 


A  propos 
du  frein  hydropneumatique , 

On  pourrait  remarquer,  en  dehors  du 
procès,  qu'il  n'aurait  pas  été  nécessaire 
d'avoir  Je  Manuel  pour  connaître  le  frein 
hydropneumatique. 

Il  n'y  avait  qu'à  se  procurer  la  pièce  en 
double. 

Soixante  kilos  à  peu  près  à  emporter  et 
rapporter,  après  l'avoir  communiqué. 

Cette  soustraction  de  quelques  heures, 
du  soir  au  matin,  n'offre  pas  d'impossi- 
bilité. 


Promener  soixante  kilos,  tout  de  même  ! 
s'étonneront  quelques  personnes. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  ICI 

Pourtant,  lisez  l'alTaire  de  Nancy,  du 
mois  d'octobre,  quelques  jours  après  le 
procès  de  Rennes. 

Tonnelier,  un  brigadier  fourrier  du 
8^  d'artillerie  —  impliqué  dans  des  affaires 
de  vol  de  bijoux  et  d'assassinat  —  avait 
dérobé  des  revolvers  d'ordonnance,  diverses 
pièces  de   matériel    d'artillerie,    enfin   un 

FREIN  HYDROPNEUMATIQUE. 

Voici  l'explication  du  brigadier  Tonne- 
lier : 

((  —  Au  retour  du  camp  de  Chàlons,  où 
»  le  8®  régiment  d'artillerie  avait  procédé 
»  à  des  exercices  à  feu,  sept  de  ces  freins 
))  avaient  été  envoyés  à  Bourges,  à  l'Ecole 
))  de  pyrotechnie,  pour  y  être  réparés.  A  leur 
))  retour  à  Nancy,  je  fus  chargé  d'en  aller 
))  prendre  livraison.  C'est  à  ce  moment  que 
))  je  m'emparai  de  l'un  d'entre  eux,  comp- 
))  tant,  —  et  c'est  ce  qui  est  arrivé  —  que  l'on 
»  ne  s'apercevrait  pas  de  la  soustraction.  » 

La  version  du  coupable  est-elle  exacte  ? 
Cela  regarde  ses  juges. 

Toujours  est-il  que  le  frein  hydropneu- 


J62  QLELULES  DESSOUS 

maliqiie,  soustrait  par  le  brigadier  Tonne- 
lier, seul  ou  avec  des  complices,  a  été  ra- 
massé sur  le  chemin  du  Haut-du-Lièvre,  à 
quelque  distance  d'une  villa  appartenant  à 
son  père. 

Le  brigadier  Tonnelier  est  au  pouvoir  de 
la  justice  militaire. 

Ces  sept  freins  ne  voyageaient  pas  dans 
une  ((  musette  »,  mais  le  Conseil  de  guerre 
ne  nous  apprendra  pas  par  quelle  négli- 
gence des  chefs  un  frein  hydropneumatique 
peut  «  découcher  »,  comme  s'exprimerait 
le  général  Deloye. 

Ce  qui  nous  intéresse,  c'est  que  la  sous- 
traction est  possible  et  qu'elle  s'est  même 
opérée. 

C.  q.  f.  d.  (1). 

(1)  Le  coupable  avait  avoué.  La  justice  civile  l'avait 
livré  à  la  justice  militaire.  On  Texpodia  dans  un  asile 
pour  le  faire  examiner,  alors  qu'il  existe  dans  les 
hôpitaux  militaires  des  saLes  de  consignes  où  sont 
gardés  à  vue  les  soldats  malades  en  prévention  du 
Conseil  de  guerre.  Tonnelier  s'est  enfui  —  et,  après  lui, 
l'infirmier  chargé  de  le  surveiller. 

Nous  ne  dirons  pas,  suivant  la  formule,  que  :  la 
justice  informe.  C'est  tout  le  contraire. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  163 


Le  général  Roget, 

Quant  au  général  Roget,  à  qui  le  sobri- 
quet de  la  Honte  allait  comme  un  gant, 
quelles  responsabilités  n'a-t-il  pas  assu- 
mées ! 

C'est  délibérément  qu'il  est  entré  dans 
l'affaire,  qu'il  a  pris  à  forfait  le  sauve- 
tage de  rÉtat-Major.  Les  lauriers  basochiens 
du  général  de  Pellieux  au  procès  Zola  l'em- 
pêchaient de  dormir.  Et  moi  aussi,  je  serai 
avocat,  a-t-il  rêvé.  De  l'audace,  de  l'audace, 
encore  de  l'audace,  et  le  général  de  pronun- 
ciamiento,  élu  par  Déroulède,  a  galopé  vers 
les  prétoires.  Il  a  jugé  que  les  devanciers 
de  la  forfaiture,  du  mensonge,  du  faux  té- 
moignage, du  vol  de  document  ei  du  faux 
n'avaient  pas  assez  fait.  Quand  les  lutteurs 
de  la  première  heure,  les  Mercier,  les 
Henry,  les  Esterhazy,  les  Du  Paty  tou- 
chaient des  épaulettes,  il  s'est  avancé,  Her- 


164    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

Cille  amateur  :  «  A  moi  le  caleçon  !  »  Et  il 
est  entré  dans  les  écuries  d'Augias  ;  pour 
les  nettoyer?  non  :  pour  y  ajouter. 

Pendant  que  le  général  Mercier  faisait 
visite  aux  officiers,  ou  déposait  sa  carte, 
le  général  Roget  passait  dans  les  casernes  : 
sans  doute  pour  les  comparer  avec 
Reuillv... 

Le  général  Roget  a  été  le  semainier, 
le  régisseur  du  procès  de  Rennes. 

Publiquement,  il  félicitait  ou  blâmait  les 
témoins. 

Hélas  !  il  en  est  qui  méritaient  ses  félici- 
tations ! 

Au  vu  et  au  su  de  tous,  il  sortait  de 
l'audience  pour  renseigner  les  témoins 
suivants  sur  les  dépositions  précédentes. 

Avec  quelle  délicatesse,  avec  quel  cou- 
rage le  général  Roget  insultait  ses  infé- 
rieurs en  grade  :  un  Picquart,  monsieur  Pic- 
quart,  un  Hartmann,  un  Fonds-Lamothe, 
un  Forzinetti,  un  Cordier,  un  Rruyerre.  Et 
son  insolence  était  tolérée  des  juges,  ses 
inférieurs  aussi. 


Général  Mercier,  Général  Gonse. 

M.  Cavaigaac  et  le  général  Roget. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     167 

Mais  avouons  qu'il  avait  de  la  résistance 
pour  continuer  de  porter  beau  sous  les 
démentis  et  les  soufflets. 

A  un  moment,  il  dit  ironiquement  à  la 
défense  : 

—  Nous  sommes  tous  de  faux  témoins  ! 

La  défense  avait  peut-être  le  droit  de  sus- 
pecter les  Mercier,  les  Du  Paty,  les  Ester- 
hazy,  les  Billot,  les  Cavaignac,  les  Savi- 
gnaud,  les  Cernuçky,  les  Ghamoin,  les 
Henry,  les  Gonse,  les  Guignet,  tous  pris  en 
flagrant  délit  maintes  fois  —  et  le  général 
Roget! 

Mais  quel  est  le  témoin  adverse  dont  le 
général  Roget  n'ait  point  incriminé  la  sincé- 
rité !  Et  cependant,  quelle  est  l'autorité 
morale  du  général  Roget,  après,  par  exem- 
ple, l'incident  Hadamard-Painlevé  ? 
.  Le  général  Roget.  —  Je  n'ai  jamais 
entendu  dire  que  M.  Painlevé  ait  eu  une 
conversation  avec  M.  Hadamard,  beau-père 
de  Dreyfus. 

M.  Painlevé,  se  tournant  vers  le  général. 
—  Je  n'ai  jamais  dit  que  le  général  Roget 


168  QUELQUES  DESSOUS 

avait  entendu  dire  que  j'avais  eu  une  con- 
versation avec  M.  Hadamard,  beau-père  de 
Dreyfus. 

J'ai  dit  que  M.  le  général  Roget  avait  dit 
que  j'avais  eu  une  conversation  avec  M.  Ha- 
damard, beau-père  de  Dreyfus.  J'ai  rap- 
porté le  texte  de  la  déposition  sténographié, 
signé  par  lui,  déposé  sous  la  foi  du  ser- 
ment. Voici  ce  qu'il  a  dit  : 

«  Il  a  été  établi  au  moment  du  procès,  ou 
»  peu  après,  que  M.  Hadamard,  beau-père 
))  de  Dreyfus,  avait  eu  à  payer  des  dettes 
»  pour  son  gendre,  ce  dont  il  était  très  peu 
))  satisfait.  Il  aurait  même  tenu  à  ce  propos 
»  à  M.  Painlevé  un  propos  significatif.  » 

Cette  déposition  est  signée  de  M.  le  géné- 
ral Roget.  {Mouvement.) 

Le  général  Roget.  —  C'est  un  M.  Hada- 
mard, un  autre,  alors!  (Violentes  rumeurs.) 

Ils  sont  élégants  les  moyens  dont  use  le 
général  Roget  vis-à-vis  de  ses  contradic- 
teurs ! 


DU  PROCES  DE  RENNES  1G9 


^ 
*  * 


Au  colonel  Picqiiart,  il  reproche  d'avoir 
gaspillé  cent  mille  francs  de  fonds  secrets. 

(Le  colonel  Picquart  a  demandé  une  en- 
quête, où  l'on  a  conclu  que  sa  gestion 
avait  été  des  plus  nettes  et  ne  permettait 
aucune  critique...  Mais  cette  allégation, 
après  l'apostrophe  du  général  Billot  au  co- 
lonel Picquart  sur  les  mêmes  cent  mille 
francs,  n'a-t-elle  pas  dû  frapper  les  juges?) 


Le  colonel  Cordier?  Le  général  l'accuse 
d'être  l'auteur  d'une  lettre  pour  laquelle  il 
a  justement  introduit  une  plainte  en  faux 
—  et  le  faux  a  été  reconnu. 


* 
^  * 


Il  accuse  Forzinetti  de  mentir. 

10 


170  QUELQUES  DESSOUS 


;;<   ^ 


Avec  M.  de  Fonds-Lamotlie,  il  lire  une 
des  lettres  dont  son  plastron  est  rem- 
bourré. 

(M.  de  Fonds-Lamothe  a  cru,  d'abord,  à 
la  culpabilité  de  Dreyfus.  Mais  sa  convic- 
tion de  l'innocence  s'est  faite,  à  la  Cour  de 
cassation.  Le  général  Roget  ne  le  peut  ad- 
mettre.) 

Le  général  Roget.  —  Je  demande  si 
M.  de  Fonds-Lamothe  n'a  pas  parlé  avec 
beaucoup  de  chaleur  de  sa  conviction  de  la 
culpabilité  de  Dreyfus.  Lorsqu'on  avait  an- 
noncé cette  culpabilité,  tout  le  monde  s'était 
écrié,  et  lui  tout  le  premier  :  «  Gela  ne 
m'étonne  pas,  ce  ne  pouvait  être  que  lui.  » 
Il  l'a  raconté  le  15  octobre  devant  les  capi- 
taines Jouffret  et  Allard.  J'ai  ici  une  lettre 
qui  l'atteste.  Elle  est  signée  du  capitaine 
Romanet... 

M.  DE  Fonds-Lamotiie.  —  Comment  vou- 
lez-vous que  j'aie  émis  une  opinion  sur  la 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  171 

culpabilité  de  Dreyfus,  /^  15  octobre^  puis- 
que c'est  le  1'^'"  novembre  qu'on  a  appris 
son  arrestation?  Le  capitaine  Romanet  a 
fait  une  erreur... 

En  effet  le  capitaine  Romanet  n'est  pas 
venu  la  soutenir. 


Le  général  Roget  dira  que  Dreyfus  s'est 
adressé  au  capitaine  Lebreton  pour  avoir 
des  Manuels? 

Or,  ce  n'est  pas  Dreyfus,  c'est  M.  de 
Fonds-Lamothe,  qui  l'établit  à  l'audience. 


Le  général  Roget  dira  que  :  «  Le  com- 
»  mandant  Hartmann  a  essayé  d'insinuer 
»  qu'Esterhazy  avait  pu  avoir  vu  tirer  le 
»  canon  120  au  camp  de  Châlons  et  que 
»  tout  le  monde  s'approchait  de  cette  pièce. 
»  Le  capitaine  Le  Rond  le  démentira  for- 
»  mellement  sur  ces  deux  points.  » 


172  QUELQUES  DESSOUS 

M.  le  capitaine  Le  Rond  n'est  pas  venu 
démentir  du  tout. 

Le  général  Roget  jouait  de  malheur  avec 
les  capitaines  ! 


* 

*  * 


Si  je  rappelle  tous  ces  passages  des  dé- 
bats, ce  n'est  pas  pour  démontrer  le  néant 
et  l'impudence  des  dires  du  général  Ro- 
get :  cela  est  acquis.  —  (Mais  moins  qu'on 
ne  croit,  puisque  Dreyfus  a  été  recondamné 
et  le  général  Roget  est  l'organisateur  de  la 
recondamnation).  Si  j'ai  rappelé  ces  quel- 
ques incidents,  comme  il  faudrait  rappeler 
toutes  les  interventions  à  la  barre  du  géné- 
ral Roget,  c'est  pour  que,  le  voyant  bien  en 
scène,  on  imagine  plus  nettement  ce  qu'a 
dû  être  son  jeu  dans  la  coulisse.  Il  y  récon- 
fortait les  énergies  mollissantes,  il  y  pré- 
parait toutes  les  marches  et  les  contre- 
marches du  mensonge,  il  y  réparait  les 
mailles  rompues  du  filet  où  l'on  enserrait 
Dreyfus  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  173 

Il  y  a  vingt  témoins  «  dans  la  voix  des- 
quels on  retrouve  la  main  du  général  Ro- 
get  »).  Ce  n'est  qu'une  hypothèse?  Non.  Et 
quand  même,  nous  pourrions  bien  nous 
la  permettre  en  face  de  celui  qui  en  a  cons- 
truit des  pyramides,  pendant  quarante-sept 
heures,  rien  qu'à  la  Cour  de  cassation... 


Vincident  Briiyerre, 

Roget-la-Honte  méritait  aussi  le  surnom 
de  Boîte-aux-Lettres. 

On  se  souvient  de  la  facilité  avec  la- 
quelle il  lui  en  sortait  de  tous  les  goussets. 
D'autres  se  font  garnir  les  épaules  d'ouate 
ou  de  caoutchouc  ;  le  général  Roget,  c'est 
de  lettres  qu'il  se  rembourre. 

La  légende,  la  poésie,  le  roman,  nous 
avaient  souvent  illustré  l'officier,  partant 
pour  la  guerre,  avec,  contre  le  cœur,  un 
doux  médaillon  de  mère  ou  de  fiancée,  le 
portrait  d'une  sœur,  d'une  femme^  d'un  fils 

40. 


174  QUELQUES  DESSOUS 

aimé,  quelques  lettres  d'amour  —  qui  sou- 
vent le  protégeait  d'un  mauvais  coup, 
d'une  pointe  qui  glissait,  d'une  balle  qui 
s'aplatissait... 

A  Rennes,  nos  grands  chefs  n'avaient  la 
poitrine  blindée  que  de  petits  papiers  sour- 
nois, de  billets  calomnieux,  de  mots  mal- 
propres. 

Comme  pour  le  colonel  Cordier,  comme 
pour  M.  de  Fonds-Lamothe,  pour  le  lieu- 
tenant Bruyerre,  le  général  Roget  dénonce 
une  lettre,  la  lettre  de  démission  de  cet 
officier,  conçue  dans  les  termes  les  plus 
dignes,  belle  page  de  solide  caractère,  de 
beauté  morale,  telle  qu'il  fallait  l'attendre 
de  Fauteur  du  Devoir  et  à' En  Paix. 

Cependant,  le  général  Roget  s'est  exprimé 
ainsi  : 

—  Messieurs,  cette  lettre  était  d'une  vio- 
lence extraordinaire.  Il  donnait  sa  démis- 
sion, disait-il,  parce  que  c'était  une  honte 
de  servir  dans  l'armée  française. 

M.  Bruyerre  proteste. 

Le  général  Roget.  —  Je  dis  le  sens  gé- 


DU  PROCES  DE  RENNES  175 

néral  do  la  leltre  (Exclamations  dans  l'au- 
ditoire). Je  ne  peux  m'en  rappeler  les  termes 
précis  ;  je  n'ai  pas  vu  la  lettre  depuis  quinze 
mois. 

Je  crois  que  le  général  Deloye  a  vu  la 
lettre;  peut-être  pourrait-il  faire  appela 
ses  souvenirs  ! 

Je  crois...  est  délicieux. 

Le  général  Roget  en  est  bien  certain  ; 
C'est  le  général  Deloye  qui  la  lai  a  communia 
qyée... 

Que  tous  ces  témoins  aient  criminelle- 
ment combiné  leur  action  pour  écraser  un 
accusé,  personne  n'en  doute  plus.  Encore 
est-il  bon  de  le  souligner. 


L'incident  Freystaetter, 

Comme  nous  rencontrons  le  général  De- 
loye et  le  général  Roget  ligués,  avec  sa 
lettre  de  démission,  contre  le  lieutenant 
Bruyerre,  ailleurs,  c'est  le  général  Mercier 


176    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

et  le  général  Roget,  avec  les  lettres  contre 
le  commandant  Freysteetter  ;  le  général  Ro- 
get est  de  toutes  les  lettres,  de  toutes  les 
fêtes. 

Il  fallait  détruire  l'impression  vive  lais- 
sée par  la  déposition  du  capitaine  Freys- 
tœtter. 

A  la  fin  des  débats,  alors  que  le  té- 
moin parti  ne  pouvait  contredire,  le  géné- 
ral Mercier  associant  à  cette  fière  démarche 
le  compère  Roget,  invente  par  lettres  que 
le  capitaine  Freysteetter  a  subi,  à  Mada- 
gascar, un  trouble  d'esprit  momentané  ; 
une  autre  lettre  accuserait  le  capitaine 
Freystœtter  de  passion  antisémite;  il  au- 
rait fait  fusiller  trente-cinq  nègres!...  Et  le 
troisième  document  n'est  pas  lu  !  Que  peut- 
il  receler? 


* 

*  * 


Comment  le  général  Mercier  s'est-il  pro- 
curé ces  papiers  sur  le  capitaine  Freysteet- 
ter ? 


M.   Jmlet  et  le  gmiéral  de  BoisiJellVe, 
JI.  Couard,  Général  Goase  et  M.  du  Breuil. 


Général  Mercier  et  le  G'  d'Aboville. 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     170 

Certains  viennent  d'un  employé  du  mi- 
nistère de  la  guerre,  Garcin,  ancien  offi- 
cier. 

Le  sous-lieutenant  Garcin,  attaché  à  un 
bataillon  du  3®  régiment  de  marche  au  Ton- 
kin  et  en  Annam,  y  subit  les  arrêts  de  ri- 
gueur pour  des  faits  que  nous  n'avons  pas 
à  dévoiler  ici.  Qu'on  sache  cependant  que 
ses  camarades  le  tenaient  à  l'écart. 

Par  pitié,  le  capitaine  Freysteetter  le  fît 
admettre  à  la  marmite  commune  aux  offi- 
ciers de  son  régiment  à  lui,  Freysteetter. 

Rentré  en  France,  Garcin  passe  devant 
un  conseil  d'enquête  à  Rochefort,  à  la  suite 
de  quoi,  il  donne  sa  démission,  entre  au 
ministère  des  colonies  en  qualité  de  com- 
mis rédacteur  attaché  au  cabinet  du  sous- 
secrétaire,  puis  est  nommé  administrateur- 
adjoint  à  la  Côte  d'Ivoire  en  1893.  Après 
de  nouvelles  difficultés,  il  revient,  tombe 
malade  à  Marseille,  et,  rétabli,  démis- 
sionne. 

Dès  1897,  il  postule  pour  un  emploi  au 
ministère  de  la  guerre,   est  occcupé  à  la 


180  QUELQUES  DESSOUS 

comptabilité,  d'où  il  passe  au  bureau  de  la 
géographie. 

Jusqu'à  son  entrée  au  ministère,  Garcin 
ne  jurait  que  par  le  capitaine  Freystœtter, 
son  bienfaiteur,  dont  le  portrait  était  à  la 
place  d'honneur  dans  son  logis  de  Bourg-la- 
Reine.  Maintenant... 

Au  ministère  de  la  îîuerre,  l'ex-sous- 
lieutenant  Garcin  s'est  montré  dicrne  tout 
de  suite  de  la  confiance  de  l'Ëtat-major  (1). 

(1)  Sur  ces  entrefaites,  M.  Hippolyte  Laroche  faisait 
tenir  à  M.  le  colonelJouaust  une  lettre  dont  nous  citons 
quelques  lignes  : 

«  7  septembre. 
»  A  M.  le  colonel,  président  du  Conseil  de  guerre  de  Rennes. 

»  Monsieur  le  président, 

»  En  ma  qualité  d'ancien  résident  général  de  France 
à  Madagascar  en  1896,  je  me  crois  obligé  de  rectifier 
une  erreur  apportée  à  la  barre  du  Conseil  de  guerre 
et  qui  serait  de  nature. à  nuire  à  la  considération  de 
M.  le  capitaine  d'infanterie  de  marine  Freystœtter. 

»  Cet  officier  n'a  jamais  fait  fusiller  une  colonne  de 
prisonniers. 

»  L'épisode  dont  on  a  voulu  parler  est  celui-ci  : 

»  En  janvier  1890,  une   petite  troupe  de  brigands. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  181 


La  plus  hideuse  campagne  avait  été  me- 
née, d'autre  part,  au  Cercle  militaire  de 
Rennes  contre  le  capitaine  Freystsetter,  par 
les  fils  Mercier  : 

—  C'est  un  assassin,  disait  l'un  d'eux  ! 

Lequel  ? 


Tout  cela  n'a  pas  réussi  autrement  au 
général  Roget,  dans  les  milieux  où  sévit 
le  spécial  «  honneur  de  l'armée  ». 

épouvantait  le  littoral  de  Madagascar,  entre  Vatou- 
mandre  et  Tamatave,  assassinant  les  Houves,  incen- 
diant les  villages.  La  compagnie  Freystsetter  a  surpris 
ces  forcenés,  le  20  janvier,  en  flagrant  délit,  dans  un 
lieu  où  ils  opéraient,  les  a  attaqués  et,  «  en  action  de 
combat  »,  tués  à  la  baïonnette.  Je  répète  qu'il  s'agit  de 
gens  tués  dans  le  combat  et  nullement  d'un  convoi  de 
prisonniers  qu'on  aurait  fusillés  ou  massacrés  après 
coup. 

»  Veuillez  agréer,  monsieur  le   président,  les  assu- 
rances de  ma  haute  considération. 

))  HippoLYTE  Laroche.  » 
11 


182  QUELQUES  DESSOUS 

Il  est  tel  cercle  militaire,  où  l'équitation 
est  plus  en  honneur  que  partout  ailleurs, 
où  l'on  s'écarte  de  lui...  parce  qu'il  n'a  pas 
suivi  Déroulède. 


Le  général  Chamoin^  pris 
la  main  dans  le  dossier  secret. 

Tous  les  correspondants  et  toutes  les  cor- 
respondances étaient  agréables  au  général 
Roget,  au  général  Mercier.  D'Esterhazy,  de 
Du  Paty,  au  procès  de  Rennes,  ils  accep- 
taient encore  la  connivence  abominable, 
l'aide  exécrable. 


Les  noms  du  général  Roget,  du  général 
Mercier,  de  Du  Paty,  d'Esterhazy  s'alignent 
de  front,  pour  l'affaire  Chamoin. 

Les  faits  sont  patents.  A  l'audience  pu- 
blique du  24  août,  le  général  Chamoin  a  dû 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  183 

confesser  que,  dans  un  huis-clos,  il  avait 
fait  état  d'une  pièce  fausse,  à  lui  remise  par 
le  général  Mercier,  qui  la  tenait  de  Du 
Paty,  laquelle  il  allait  introduire  dans  le 
dossier  secret,  lorsque  M^  Labori  avait  ar- 
rêté son  geste,  l'avait  empêché  de  mêler  ce 
faux^  bâtard,  diWxfaux^  naturels,  reconnus, 
du  père  Gonse. 

La  situation  était  pénible  pour  le  général 
Chamoin,  comme  celle  du  cambrioleur  pris 
sur  le  tas  ! 

Paterne,  d'une  confusion  feinte,  il  s'en 
ouvrit,  le  lendemain  matin,  à  M^  Labori 
lui-même,  tâchant  de  pallier  les  choses... 
Il  recevait  tant  de  /jlls,  de  commmiications... 
Il  s'y  perdait...  Il  en  possédait  bien  où 
JVP  Labori  était  vilainement  attaqué...  et 
qu'il  pouvait  retenir  ou  communiquer... 


-1=  ■'fi 


M®  Labori  ne  voulut  pas  comprendre... 
Mais  les  documents  auxquels  faisait  allu- 
sion le  général  Chamoin  n'étaient-ils  pas 


184  QUELQUES  DESSOUS 

les  mêmes  que  ceux  qui  circulaieut  entre  le 
général  Roget  et  le  président  Jouaust,  — 
d'Esterhazy,  —  et  dont  le  général  et  le  pré- 
sident dirent  qu'ils  ne  contenaient  que  des 
récriminations  contre  les  uns  et  les  autres, 
quand  M*^  Labori  demanda  qu'ils  fussent 
versés  aux  débats?... 

Quoi  qu'il  n'y  eût  pas  prêté  attention,  le 
général  Roget,  de  son  aveu,  avant  de  les 
remettre  au  président  Jouaust,  en  avait 
copié  quelques-uns,  l'entraînement... 

Et  le  général  Chamoin  en  promenait 
dans  sa  serviette  avec  lesquels  il  tentait 
d'amadouer  M^  Labori. 

Un  échantillon  de  ces  papiers  a  paru 
dans  la  Libre  Parole^  sous  la  signature 
de  M.  Delahaye.  Cependant,  M^  Labori 
recevait  une  balle  dans  le  dos,  Galliffet 
couvrait  le  général  Chamoin,  qu'il  eût  dû 
faire  arrêter  avec  Mercier  et  du  Paty  —  et, 
quand,  le  24  août,  M''  Labori  rétabli  inter- 
rogea le  général  Chamoin  et  le  général  Mer- 
cier, tout  était  arrangé  :  maladresse  du  gé- 
néral Chamoin  qui,  dans  le  feu  de  la  dépo- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  185 

sition,  avait  sorti  de  sa  poche  une  pièce  que 
Mercier  lui  avait  communiquée,  mais  sim- 
plement pour  voir...,  laquelle  pièce  était 
parvenue  au  général  Mercier,  de  la  part 
de  Du  Paty,  sur  le  marche-pied  du  com- 
partiment, en  partant  pour  Rennes,  sans 
qu'il  sût  de  quoi  il  retournait... 

Et  la  curiosité  de  M^  Labori,  à  ce  propos, 
semblait  «  oiseuse  »  au  général  Roget! 


Le  général  Gonse  et  le  dossier  secret. 

Ce  dossier  secret,  si  bien  nourri  par  le 
général  Gonse,  et  que  le  général  Chamoin 
s'était  proposé  d'engraisser  à  son  tour, 
veut-on  une  nouvelle  preuve  de  la  manière 
dont  on  le  gavait  : 

En  janvier  1895,  immédiatement  après 
la  dégradation,  le  capitaine  M...  reçoit  une 
lettre  du  capitaine  Dreyfus,  qui  proteste, 
comme  toujours,  de  son  innocence.  Cette 
lettre,  le  capitaine  M...  la  montre  plus  tard 


186 


QUELQUES  DESSOUS 


à  des  camarades.  Et  voici  que,  dans  le 
Temps^  il  lit  qu'il  a  reçu  de  Dreyfus  une 
lettre  d'aveux.  Puis,  il  apprend  que  le  géné- 
ral Gonse  a  fait  venir  des  officiers,  qu'ill^s 


M.  du  Breuil  et  le  sénéral  Gonse. 


a  interrogés  là-dessus,  qu'il  leur  a  demandé 
des  petits  papiers  à  ce  sujet...  Oh  !  on  a  dû 
leur  demander  ça  bien  gentiment,  comme 
on  a  faitpour  MM.  Painlevé-Hadamard,  car, 
en  sortant  de  là,  le  capitaine  G...,  plaisan- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  187 

tant,  dit  :  «  Mais  ils  sont  aimables,  dans  cette 
boîte-là  !  Comme  on  est  reçu!  Un  peu  plus, 
ils  vous  coucheraient;  »  etc.. 

Le  capitaine  M...,  pour  couper  court 
aux  racontars,  porte  la  vraie  lettre  à  son 
colonel,  qui  le  conseille  :  «  C'est  bien,  ne 
vous  en  occupez  plus.  »  On  n'entend  plus 
parler  de  rien...  Et  il  est  probable  que  c'est 
là  une  des  mille  pièces  du  dossier  secret 
—  qui  en  renfermait  trois  ou  quatre  au 
début. 


* 
,iî  * 


Le  lieutenant' colonel  Cordier. 

Tous  les  moyens,  les  plus  mesquins,  les 
plus  répugnants  auront  été  bons  aux  grands 
chefs  pour  exciter  les  témoignages  scrviles, 
pour  avilir  et  ruiner  les  convictions  adver- 
ses. A  celles-ci  il  fallait  opposer  ceux-là  — 
et  c'est  ainsi  qu'en  face  du  lieutenant-colo- 
nel Cordier  apparaît  le  colonel  Fleur,  ca- 
marade  de    promotion  du  général   Gonse. 


188  QUELQUES  DESSOUS 

Dès  que  le  lieulenant-colonel  Gordier  a 
parlé  en  faveur  de  Dreyfus,  la  calomnie  a 
commencé  de  ramper  et  de  siffler  contre  lui. 

L'officier  qui,  pendant  huit  ans  et  demi, 
avait  fait  partie  du  service  des  renseigne- 
ments aux  côtés  de  Sandherr,  n'a  plus  été 
qu'un  propre  à  rien,  et,  quand  il  lui  a  plu 
de  se  faire  mettre  en  disponibilité  tempo- 
raire, on  l'a  présenté  comme  le  suppôt  de 
tous  les  vices. 

S'il  se  tait,  refusant  de  témoigner  tant 
qu'il  ne  sera  pas  délivré  du  secret  pro- 
fessionnel, c'est  qu'il  est  ivre-mort,  et  que 
la  langue  lui  fait  défaut. 

S'il  avait  parlé,  on  aurait  crié  à  la  tra- 
hison, et  qu'il  compromettait  l'œuvre  in- 
comparable de  Sandherr. 


Le  colonel  Fleur  :  Baba  P"^. 

Le  lieutenant-colonel  Gordier  avait  cru 
à  la  culpabilité  de  Dreyfus.  Il  l'avait  affîr- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES 


189 


mée  à  Fleur  son  colonel.  Quand  le  lieute- 
nant-colonel Cordier  devient  révisionniste, 
le  colonel  se  hérisse  d'indignation.   C'est 


WBBBBBMR-^ffy  *VWil|t'f||l!C.*' 

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j\l.   B.irrès.  G' de  Boisdeffre.         G'  Gonse.     L'-C^  Jeaiiucl. 

Cl  Fleur.    G*  Cuignet.  G'  Lauth.        L'-Gi  Gendron. 

Arche  Gribelin.         Gap«  Junck. 


que  lui,  Fleur,  marchait  avec  les  grands 
chefs,  pour  «  l'honneur  de  l'armée.  »  Il 
ignorait  Dreyfus;  mais,  retiré  à  Versailles, 
désireux  d'écrire  dans  les  journaux,  sous 
la  protection  de  M.  Le  Hérissé,  convoitant 
le  poste  de  commandant  militaire  du  Petit- 

11. 


190  QUELQUES  DESSOUS 

Trianon,  l'occasion  lui  était  exceptionnelle 
de  se  mettre  en  relief. 

Le  27  janvier,  au  procès  Henry-Reinach, 
le  lieutenant-colonel  Cordier,  salué,  sa- 
luant, dans  la  salle  des  témoins,  va  vers  le 
colonel  Fleur,  qui  se  trouvait  là,  bénévole- 
ment, pas  cité  : 

—  Je  ne  vous  cause  plus,  dit  Fleura  son 
inférieur,  encore  au  service,  qui  ne  pouvait 
répondre. 

Et  le  colonel  Fleur  reçoit  les  plus  chau- 
des   approbations   nationalistes. 

A  la  Gourde  cassation,  il  rappellera  que 
le  lieutenant-colonel  Cordier  lui  a  déclaré 
sa  conviction  de  la  culpabilité  de  Dreyfus. 

Mais,  c'est  un  peu  court. 

De  la  Cour  de  cassation  au  Conseil  de 
guerre  de  Rennes,  le  rôle  du  colonel  Fleur 
s'augmentera. 

A  Paris,  le  colonel  Fleur  n'attaquait  que 
le  lieutenant-colonel  Cordier. 

A  Rennes,  il  accablera  Dreyfus. 

D'où  lui  est  venue  cette  lumière  sou- 
daine? D'en  haut. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  191 

Comparez  les  deux  dépositions. 

A  Paris,  pas  un  mot  sur  Dreyfus. 

A  Rennes,  il  se  souvient  qu'il  a  rencontré 
en  Alsace  un  industriel  qui  a  vu  Dreyfus 
aux  manœuvres  allemandes. 

Puis,  l'anecdote  du  jeune  homme  qui, 
devant  un  portrait  de  Dreyfus,  dans  les 
journaux,  en  1894,  dit  à  sa  sœur  : 

—  Voilà  le  traître,  je  le  reconnais. 

Et  il  n'a  paru  de  portrait  authentique  de 
Dreyfus,   dans  les  journaux,  qu'en  1898. 

Bref,  à  lui  tout  seul,  le  colonel  Fleur 
devient  plusieurs  témoins  ensemble  de 
Quesnay  de  Beaurepaire. 

Il  convient  d'avouer,  toutefois,  que  le  co- 
lonel Fleur  n'est  pas  venu  à  Rennes  avec 
enthousiasme. 

Il  s'est  fait  ajourner,  il  n'est  débarqué 
que  quelques  jours  pour  sa  déposition.  Oh! 
non  qu'il  redoutât  de  déposer,  puisqu'il 
était  capable  d'emprunter  les  récits  de 
Karl,  au  besoin,  il  l'a  bien  prouvé. 

Mais  à  Rennes,  où  il  avait  tenu  garnison, 
cela  le  défrisait  un  peu. 


192    QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

Il  en  était  parti  si  drôlement,  laissant 
les  pires  souvenirs! 

De  cinq  heures  à  six  heures  et  demie, 
il  allait  au  Cercle,  vieille  habitude.  Mis 
à  la  retraite,  un  soir,  il  fait  sa  partie, 
et  le  lendemain,  sans  plus,  ses  coparte- 
naires  recevaient  sa  carte  avec  P. P.C. 

Le  colonel  Fleur  avait  disparu,  inco- 
gnito. Sans  doute,  il  avait  ses  raisons. 

Il  s'en  allait,  le  plus  ancien  colonel,  pas 
commandeur  de  la  Légion  d'honneur. 

«  A  Saint-Cyr,  les  élèves  du  lieutenant 
Fleur,  professeur-adjoint  de  géographie, 
l'avaient  surnommé  BABA,  à  cause  de  son 
air...  Baba  P%  son  sobriquet  dans  toute 
l'armée...  Vers  1867,  il  réussit  à  faire  en- 
trer son  frère  à  l'Ecole  comme  adjudant, 
surveillant  des  élèves.  Celui-ci  devient 
Baba  IL  » 

Comoy  l'avait  proposé  comme  général  de 
brigade.  Le  général  Grisot  le  soutenait.  De 
Jessé  lui  répond  que  cette  candidature 
ne  se  discute  même  pas: 

—  Vous  connaissez  l'homme? 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     195 

Donc,  le  colonel  Fleur  avait  liàte  de  quit- 
ter Rennes.  Il  y  reste  pourtant.  Un  auxiliaire 
si  dévoué!  Il  connaît  les  dessous  de  Rennes. 
Au  lieu  de  lui  faire  grise  mine,  on  l'ac- 
cueille. Le  voici  de  l'Etat-Major.  Il  semble 
même  détaché  auprès  de  Cernuçky.  Quelles 
besognes  lui  sont  dévolues?  On  le  surprend 
un  jour,  qui  compulse  les  registres  du 
Grand-Hôtel...  Pour  relever  les  dépenses 
du  colonel  Cordier,  —  ou  régler  l'addi- 
tion de  Cernuçky  ? 

Quel  témoin  irréprochable,  n'est-ce  pas, 
que  celui-ci,  coureur  de  guilledou  à  qui 
certaines  dames  venaient  bruyamment 
réclamer  le  prix  convenu  de  leurs  faveurs 
au  rapport. 


^ 

*  * 


Le  capitaine  Besse. 

—  Nous  sommes  tous  de  faux  témoins, 

s'exclamait  ironiquement  le  général  Roget? 

Eh  !  des  témoins  dont  la  parole  est  bien 


196  QUELQUES  DESSOUS 

sujette  à  caution,  des  témoins  étrangement 
recrutés  que  toute  cette  basse-cour  qui 
tournaillait  autour  de  Mercier  et  de  Roget, 
les  grands  paons  ocellés  d'infamies  et  de 
vilenies. 

Les  témoins  de  Dreyfus,  les  partisans  de 
la  revision  s'ignoraient  les  uns  les  autres, 
avant  l'aiTaire. 

Les  «  intellectuels  »,  qui  se  rencontrè- 
rent sur  le  champ  de  bataille  de  la  vérité, 
venaient,  dans  leur  levée  en  masse,  de 
tous  les  camps,  les  plus  opposés,  de  la 
science,  des  lettres,  des  arts,  de  la  poli- 
tique. 

Où  l'entente,  où  le  mot  d'ordre? 

Il  fallut  imaginer  le  Syndicat^  création 
ignoble  des  bandits  de  l' État-Major  et  de 
leur  presse,  dont  quelques-uns  furent  sin- 
cères, sans  doute,  incapables  de  penser 
qu'on  pouvait  se  battre  purement  et  simple- 
ment pour  le  droit,  la  loi,  l'humanité!  Chez 
les  bourreaux  de  Dreyfus,  quels  groupes 
sympathiques,  quelles  colonnes  compactes, 
aux  origines  les  plus  suspectes. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  197 

Le  code  veut  que  le  président  demande 
aux  témoins  s'ils  ne  sont  pas  au  service  de 
l'accusé.  Ah!  ceux-ci  pouvaient  répondre 
que  non.  C'est  au  service  des  accusateurs 
qu'ils  étaient. 

Ils  ne  marchaient  pas  tous  par  ordre  — 
mais  avec  quel  ordre,  tout  de  même  !  Mais 
ils  sont  trop  !  Je  ne  puis  m'arrêter  qu'à  quel- 
ques-uns. 


Un  trio  notahle  :  le  capitaine  Besse,  le 
capitaine  Lemonnier,  le  commandant  Hirs- 
chauer. 

Le  capitaine  Besse  —  officier  d'ordon- 
nance du  général  Renouard,  jusqu'en  1898, 
scandaleusement  maintenu  pour  le  grade 
de  chef  d'escadron. 

L'État-Major  le  cite  à  Rennes,  pour  ré- 
péter, comme  à  la  Cour  de  cassation,  qu'il 
a  communiqué  à  Dreyfus  un  document  prêté 
par  le  capitaine  Bretaud.  Le  capitaine 
Besse  s'est  étonné  que  Dreyfus  ait  fait  son 


198  QUELQUES  DESSOUS 

travail;  «  iion  pas  sur  le  tableau  similaire^ 
mais  sur  un  papier  dont  je  n  ai  pas  remarqué 
la  nature,  » 

A  Rennes,  le  capitaine  Besse  dit  :  Drey- 
fus s'est  présenté  «  avec  une  feuille  de  pa- 
pier blanc,  »  Ici  le  capitaine  Besse  se  sou- 
vient de  la  nature  du  papier. 

A  Rennes  comme  à  Paris,  le  capitaine 
Besse  témoigne  qu'il  a  laissé  le  capitaine 
Dreyfus  seul  dans  son  bureau. 

Or  :  i^  Le  capitaine  Bretaud,  dès  le 
travail  fini,  a  reçu  le  document. 

2°  Le  commandant  Mercier-Milon  recon- 
naît avoir  donné  le  papier  blanc  à  Dreyfus, 
et  reçu,  le  même  jour,  le  travail  —  com- 
mandé par  lui  à  Dreyfus. 

Ils  ont  témoigné  à  la  Cour  de  cassation. 

Mais,  à  Rennes,  on  n'a  pas  cité  le  capi- 
taine Bretaud,  on  n'a  pas  cité  le  comman- 
dant Mercier-Milon.  On  n'a  cité  que  le  capi- 
taine Besse... 

Et  il  restera  que,  tout  en  ne  faisant  sur  du 
papier  blanc,  prêté  par  le  commandant 
Mercier-Milon,    qu'un    travail    commandé 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  199 

d'après  un  document  du  capitaine  Bre- 
taud,  il  restera  que  le  capitaine  Dreyfus  a 
travaillé  d'une  manière  louche,  seul,  dans 
le  bureau  du  capitaine  Besse  :  «  //  reste 
donc  seul  dans  mon  bureau^  avec  ce  document, 
après  cinq  heures.  Je  ne  sais  pas  à  quelle  heure 
il  Fa  remis.  » 

Le  capitaine  Besse,  entendu  à  la  Cour  de 
cassation,  pouvait-il  ignorer  que  le  capi- 
taine Bretaud  et  le  commandant  Mercier- 
Milon  avaient  jeté  bas  sa  déposition?... 

L'accusation,  non  plus,  ne  l'ignorait  pas. 
Mais  on  ramassait,  quand  même,  les  soup- 
çons du  capitaine  Besse. 

Et  l'ancien  officier  d'ordonnance  du  gé- 
néral Benouard  s'est  prêté  à  cette  loyale 
manœuvre 

La  défense  a  voulu  faire  appeler  le  com- 
mandant Mercier-Milon.  Befus  du  colonel 
Jouaust  ! 


200  QUELQUES  DESSOUS 


Le  capitaine  Lemonnier. 

Le  capitaine  Lemonnier,  actuellement 
officier  d'ordonnance  du  général  Re- 
nouard... 

En  1894,  il  était  très  malade,  consé- 
quemment  très  peu  en  état  de  connaître 
l'affaire  Dreyfus. 

En  1898,  au  second  procès  Zola,  à  Ver- 
sailles, quand  quelque  reYisionniste  le 
poussait,  il  disait  n'avoir  pas  d'opinion,  et 
que,  même,  il  avait  été  surpris  des  accusa- 
tions contre  Dreyfus,  avec  lequel  il  était 
resté  deux  ans  à  l'école  de  Guerre  et  qu'il 
estimait  bon  camarade...  Personnellement, 
il  se  rangeait  derrière  son  ami  le  capitaine 
lunck,  en  qui  il  avait  toute  confiance...  Lui 
ne  savait  rien... 

Et,  tout  à  coup,  de  Nantes,  le  19  août  1899, 
il  écrit  à  Rennes  au  commandant  Maistre 
(capitaine  au  2"  bureau,  quand  le  colonel 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  201 

Renouard  en  était  le  chef  et  le  lieutenant- 
colonel  Davignon  le  sous-chef.  Aussi  igno- 
rant qu'eux  des  armées  étrangères,  a  inventé 
«  les  manœuvres  sur  la  carte  »  pour  avoir  l'air 
de  faire  quelque  chose  :  il  en  a  été  récom- 
pensé...) ;  les  souvenirs  pleuvent  de  sa  mé- 
moire si  longtemps  figée.  Le  36^  témoin  de 
Quesnay  de  Beaurepaire  l'a  vivement  trou- 
blé. Lui,  aussi,  a  entendu  Dreyfus  raconter 
qu'il  était  allé  aux  manœuvres  allemandes. 
11  écrit  donc  au  commandant  Maistre  : 
»  Dreyfus  ajouta  lui-même  qu'il  avait 
s  uivi  à^cheval  des  manœuvres  allemandes 
exécutées  dans  le  but  d'étudier  cette  posi- 
tion défensive.  Il  est  possible,  mon  comman- 
dant, que  vous  ayez  pris  part  à  cette  con- 
versation, qui  avait  lieu  à  quelques  pas  de 
votre  bureau;  mais  je  me  rappelle  avec 
une  netteté  absolue  le  propos  tenu.  Je 
n'avais  alors  aucune  méfiance  à  l'égard  de 
Dreyfus,  quoique,  en  l'entendant,  je  ne 
pusse  m'empêcher  de  penser  que  ce  CAMA- 
RADE ÉTAIT  BIEN  HABILE  POUR 
AVOIR  SUIVI,  DE  PRÈS  ET  A  CHEVAL, 


202  QUELQUES  DESSOUS 

DES  MANOEUVRES  ALLEMANDES  EN 
ALSACE-LORRAINE. 

»  Le  31  juillet  dernier,  la  lecture  de  la 
déposition  du  36^  témoin  de  l'enquête  de 
M.  Oi^osnay  de  Beaurepaire  relatant  les 
circonstances  dans  lesquelles  Dreyfus  avait 
assisté  à  des  manœuvres  allemandes  m'a 
vivement  troublé.  Instinctivement  j'ai  rap- 
proché ce  fait  de  la  conversation  de  1894, 
et  lorsqu'à  la  première  audience  de  Rennes 
Dreyfus  a  affirmé  qu'il  n'avait  jamais  as- 
sisté à  des  manœuvres  dans  les  environs  de 
Mulhouse,  je  vous  avoue  que  j'ai  été  sur  le 
point  d'écrire  au  colonel  Jouaust  pour  lui 
signaler  cette  flagrante  contradiction.  Ce 
procédé  de  correspondance  directe  avec  un 
président  de  Conseil  de  guerre  n'était  sans 
doute  pas  très  régulier. 

»  D'autre  part,  je  sentais  que  le  témoi- 
gnage complet  d'un  homme  loyal  comme 
le  général  Mercier  allait  être  d'un  effet  pré- 
pondérant sur  l'issue  du[procès.  Cette  der- 
nière raison  surtout  fit  que  je  ne  relevai  pas 
ce  passage  de  la  conversation  de  Dreyfus. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  203 

»  Mais  hier,  un  compte  rendu  d'audience 
rapportait  encore  que  Dreyfus  proteste  de 
sa  loyauté  de  soldat.  Or,  quand  on  est  un 
soldat  loyal,  on  ne  ment  pas,  et  Dreyfus, 
le  7  août  1899,  n'a  pas  dit  la  vérité. 

»  C'est  pourquoi,  mon  commandant, 
avant  votre  prochaine  déposition,  dont 
j'ignore  les  éléments  et  môme  le  sens,  je 
prends  la  liberté  de  vous  écrire  cette  lettre, 
qui  pourra  peut-être  venir  en  aide  à  votre 
mémoire. 

»  Veuillez  agréer,  etc.. 

»  Signé  :  Lemonnier.  » 

Le  capitaine  Lemonnier  a  trouvé  Dreyfus 
bien  habile? 

Il  n'y  avait  pas  de  quoi,  puisqu'en  tous 
cas  ce  serait  avant  1886,  avant  l'ère  des 
passeports,  que  se  placerait  ce  voyage, 
tandis  que  c'est  après,  en  1894,  quand  on 
en  exigeait,  que  le  capitaine  Lemonnier, 
lui,  y  est  allé  !) 

Lors  du  Conseil  de  guerre  de  1894,  le 
capitaine  Lemonnier  s'est  tu  ;  pendant  l'en- 


201  QUELQrES  DESSOIS 

quelc  (le  la  Cour  de  cassation,  il  s'est  tu; 
et  pendant  le  procès  de  Uennes,  il  allait  se 
taire,  (juand  il  a  adressé  cette  le  tire  loule 
spontanée,  j)(Mil-ètre,  au  commandant 
Maistre,  sans  enteutc  préalable! 

Il  y  a,  peut-être,  une  explication  à  faut 
de  silence. 

Le  capitaine  Lemonnicr  est  sourd.  C'est 
ce  (pii  l'a  rendu  muet. 

11  a  l'alhi,  j)our  (pf  il  se  souvint  (ju'il  avait 
entendu  l(*s  j)ropos  de  Dreyfus,  qu'il  le  lût 
dans  l'enquête  de  jM.  de  n(HUir(q)aire  —  et 
qu'il  lut  devenu  ol'licier  d'ordounance  du 
général  lienouard. 


*  '\^ 


Le  commandant  llirschauer. 

Le  type  des  téuioins  racolés,  suivant  les 
besoins  de  l'accusation,  est  le  commandant 
Ilirscliauer,  anciiMi  (dief  de  cabinet  du  gé- 
néral de  Boisdell're. 

Lui   non   plus,    n'était  pas    de    l'atTaire 


1)11   IM{()(:i':S   DM  MKNNES  20!) 

(Ml  1S!)V,  ni  |M'ii(hml,  r('ii(|iirl(^  de  la  (loin* 
do  Cîissîdioii,  cl,  \\{)  (Icvail  pas  lii;iii'(M'  mu 
pi'(){'('^s  (le  Menues.  Mais  après  recrasanli^ 
(lé[)()sili(m  (le  M.  de  h'onds-l. amollie,  il 
fallul,  uvis<M\  Il  s'ai^issail  de  |>i(Mivei',  ((m- 
lrair(Vinonl,  à  la,  circiilaii'e  du  17  mai  el  ;ui 
l(';iiioi^na,^(^  de  IVl.de  lM)ii(ls-La,ni()lh(Md> aux 
assertions  de,  Drcîyl'us,  (jne  l(!s  slîi^iaii'os 
savaicnl,  ([u'ils  u'irai(;id  [>as  aux  niaineii- 
vres. 

L(M:ji,pilain(;  lunek,  (pii  a,vail  (d/^  slaii,ia,ir(î 
à  colle  é[)o(pi(;,  aurail  |)u  r(MiS(d^n(M-  lo 
Conseil  d(î  i^ii(M-i'(i. 

H  n'a  pas  hronehé.  H  assislail  à  la  (lo[)o- 
silioii  d(î  M.  (1(5  Koiids-LainollH;.  A-l-il 
reeuh'î  (h^vanl  h^  faux  l(';nioi^iia,t;('?  On  n'(îsl 
j)as  Ions  l(îs  jours  ou  Irain!  Surloul  aprijs 
(l(iS  ann(MiS  de  suvniviuKjd  \ 

(^(isl  l(i  eoniniandanl  llir"S(  liainu'  (pii  (^sl 
V(îUU,  oli  !  I)i(în  sponla,n(''n)(Mil,  eoninie  \{\ 
('a[)ilain(3  L(Mnonn ier. 

Jus(ju(^-là,  ('oninH;  1(5  ea[)ilaiue  Leinon- 
ni(U',  il  avail  j^anh'î  V\  sihiiiee.  Mais  a|)r(js 
la   d('î|)osilion   (l(;    M.    de    l^'onds-luaiiiollie, 

42 


20G  QUELQUES  DESSOUS 

il  n'a  pu  se  contenir,  et  il  écrit,  sans  y  être 
invité  par  personne,  au  colonel  Jouaust 
pour  être  entendu.  Et  le  Conseil  de  guerre 
l'a  écouté,  et  quand  M.  de  Fonds-Lamothe 
a  voulu  répliquer,  le  président,  à  deux 
reprises,  lui  a  interdit  la  parole.  Je  sais 
bien  que  le  commandant  Hirschauer,  ayant 
affirmé  que  Dreyfus  avait  demandé  à 
aller  aux  manœuvres  au  sous-chef  de  bu- 
reau qui  était  le  commandant  Picquart, 
celui-ci  a  répondu  que  c'était  faux.  Mais 
qu'importe.  Le  général  Mercier,  le  général 
Roget  avaient,  ce  qu'ils  souhaitaient,  en- 
tamé le  témoignage  de  M.  de  Fonds-La- 
mothe. Qu'est-ce  que  le  démenti  de  mon- 
sieur Picquart  au  commandant  Hirschauer, 
officier  d'ordonnance  et  chef  de  cabinet  du 
général  de  BoisdefTre,  comme  par  hasard? 

Et  puis  le  commandant  Hirschauer  est 
de  la  promotion  de  Beauvais,  de  Parfait  et 
de   Guède. 

La  présence  du  commandant  Hirschauer, 
plus  que  son  témoignage  môme,  pouvait  être 
utile. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  207 

On  est  allé  au  Cercle  ensemble,   —  et 
l'on  ne  s'est  plus  quittés. 


Le  commandant  Rivais, 

Un  autre  témoin,  épistolaire,  s'est  dé- 
voilé au  colonel  Jouaust,  pendant  les  dé- 
bats, pour  lui  révéler  des  faits  à  la  charge 
de  Dreyfus,  en  1889  et  1890,  le  comman- 
dant Rivais,  directeur  de  l'École  de  Pyro- 
technie, qui  doublait  avantageusement  (par 
quelle  coïncidence)  un  témoin  de  l'enquête 
de  Quesnay  de  Beaurepaire  :  Dreyfus  por- 
tait des  gilets  de  flanelle  à  poches  ;  on 
l'avait  vu  jouer  à  la  manille  ;  il  se  vantait 
de  mener  la  vie  à  grandes  guides  —  avec 
une  écurie  de  courses. 

C'était  si  parfaitement  grotesque  que  le 
colonel  Jouaust,  si  respectueux  pourtant 
des  témoignages  à  charge,  n'en  fit  pas 
donner  lecture. 

Ce  nouveau   témoin   spontané  à  Rennes 


208  QUELQUES  DESSOUS 

se  recommandait  pourtant  par  un  titre  sé- 
rieux :  il  avait  été  l'un  des  juges  d'Ester- 
hazy  ! 


* 

*  ^ 


Le  lieutenant-colonel  Bertin-Mourot. 

Voici  l'un  des  promoteurs  de  l'affaire 
Dreyfus,  se  considérant  comme  mêlé  à  la 
découverte  de  sa  culpabilité,  le  lieutenant- 
colonel  Bertin-Mourot  :  c'est  un  des  fonda- 
teurs de  l'antisémitisme,  d'autant  plus  en- 
ragé qu'il  lui  faut  cacher  que  sa  mère  est 
juive,  une  Dreyfus  aussi,  mais  d'une  autre 
famille  de  ce  nom.  Il  était  l'intime  du  comte 
de  Lamaze  et  du  marquis  de  Mores,  créa- 
teurs  de  sociétés  antisémites. 

Quand  parurent,  dans  la  Libre  Parole,  les 
articles  sur  les  officiers  juifs  dans  T armée, 
série  rouge,  qui  amena  les  duels  Mayer- 
Morès,  Grémieu-Foa  (de  qui  Esterhazy  fut 
témoin),  on  soupçonna  tout  droit   Bertin- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  209 

Mourot  d'y  avoir  collaboré.  En  tous  cas,  à 
l'époque,  il  était  l'inséparable  de  Mores  et 
Lamaze. 


Général  Billot.  M.  Judet. 

L«-Cl  Bertin-Mourot. 


Pour  le  lieutenant-colonel  Bertin-Mou- 
rot, une  preuve,  en  plus,  de  la  culpabilité 
de  Dreyfus,  c'est  qu'il  avait  pour  avocat 
M^  Démange  et  que  M*^  Démange  était 
«  l'avocat  de  l'ambassade  d'Allemagne  !  » 

Ce  sont  ses  paroles,  dans  une  conversa- 


210  QUELQUES  DESSOUS 

tion  avec  M*^  Labori,  qui  les  lui  rappelle,  à 
l'audience. 

Le  lieutenant-colonel  Bertin-Mourot  ne 
se  démonte  pas  pour  si  peu  : 

—  J'en  voulais  à  M®  Démange...  C'est  qu'il 
avait  mal  défendu  cet  officier...  Nous  avions 
tous  l'impression  en  sortant  de  Taudience 
qu'il  avait  été  mal  défendu  ! 

A  quoi  M°  Démange  riposte  irréfutable- 
ment : 

—  M.  le  colonel  Bertin  a  trouvé  que 
j'avais  mal  défendu  Dreyfus?  Or, il  ne  m'a 
pas  entendu,  nous  étions  dans  le  plus  strict 
huis-clos! 


* 
*  * 


Le  capitaine  Valerio. 

Encore  un  témoin  vierge,  réservé  jus- 
qu'en 1899,  le  capitaine  d'artillerie  Va- 
lerio... 

Le  général  Deloye  n'aurait  pas  osé  sou- 
tenir les  kutscheries  de  Bertillon.  On  s'est 


DU  PROCES  DE  RENNES  21  i 

rabattu  sur  un  officier  de  qui  l'audace  était 
plus  vaste  que  la  science.  M.  Painlevé, 
M.  Poincaré  et  le  général  Sebert  l'ont  fait 
remarquer. 

Le  général  Deloye  a  entonné  alors  son 
grand  couplet  sur  les  officiers  sortis  du  rang, 
dont  le  capitaine  Valerio  était  un  brillant 
exemple. 

Tout  de  même,  les  savants  sont  restés  ré- 
fractaires  à  la  soudaine  science  bertillon- 
nesque  du  capitaine  Valerio. 

Le  capitaine  Valerio  est  né  d'une  mère 
d'origine  allemande,  mariée  trois  fois,  et 
trois  fois  veuve,  Alquié,  Valerio,  Chicot  de 
la  Tranchée.  Il  avait  deux  sœurs,  une,  reli- 
gieuse, l'autre,  écuyère,  que  l'on  vit  au 
Cirque  d'Eté  et  au  Cirque  d'Hiver,  et  qui 
serait  un  personnage  du  roman  d'Harry 
Alis  :  Petite  Ville,  Ah  !  si  Dreyfus  avait  eu 
une  sœur  écuyère,  et  une  mère  à  trois 
maris,  dont  le  dernier  mort  fou! 

Valerio,  mal  noté,  faillit  ne  pas  passer 
officier.  Officier,  il  s'est  marié  après  un 
congé  d'un  an,  s'est  ruiné,  ou  du  moins  a 


212     QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE   RENNES 

compromis  la  dot  de  sa  femme  dans  une 
entreprise  de  bicyclettes.  Rentré  dans 
l'armée,  il  a  failli  être  mis  en  non-activité 
pour  dettes. 

C'est  l'offîcier  que  Ton  a  fait  ((  sortir  du 
rang  »  pour  courir  le  record  du  gabarit, 
derrière  Bertillon... 

Le  capitaine  Valerio,  à  Rennes,  racon- 
tait qu'il  avait  fait  le  questionnaire  de  Beau- 
vais  à  M.  Giry. 


* 


Le  capitaine  Le  brun- Renault, 

Il  y  eut  les  témoins  vierges,  ou  demi- 
vierges, plutôt,  comme  le  capitaine  Valerio, 
qui  débutèrent  à  Rennes. 

Mais  les  vieilles  gardes  donnèrent  aussi, 
encore,  toujours,  ^  en  tête,  le  capitaine 
Lebrun-Renault. 

Le  capitaine  Lebrun-Renault,  Lebrun- 
Ramollot,  a  fonctionné  à  Rennes,  comme  à 
Paris,  pitoyablement. 


a 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     215 

Cependant,  ici  comme  là,  depuis  cinq 
ans,  quel  travail  pour  lui  faire  avouer  qu'il 
avait   ouï    des  aveux. 

A  Paris,  le  général  Gonse,  le  général 
Mercier  l'expédiaient  au  président  de  la 
République,  à  qui  il  ne  racontait  rien. 

Plus  tard,  lorsqu'on  copiait  sur  une 
feuille  détachée  de  son  calepin  le  texte  des 
aveux  —  mais,  justement,  quand  on  désira 
les  originaux,  le  capitaine  avait  tout  brûlé  ! 

Ah!  le  rôle  d'officier  de  gendarmerie 
n'est  pas  toujours  gai!  Les  grands  chefs 
sont  bien  exigeants! 

Dans  son  rapport,  le  capitaine  avait  écrit  : 
Rien  à  signaler. 

Le  soir  même,  au  Moulin-Rouge,  le  capi- 
taine confirmait  ce  «  néant  »  à  des  jour- 
nalistes... 

Et  on  le  traîne  aux  ministères,  à  la  Pré- 
sidence, à  la  Chambre, à  Rennes! 

Ne  peut-on  se  contenter  du  récit  paral- 
lèle du  commandant  d'Attel,  légué  au  capi- 
taine Anthoine,  et  dont  bénéficia  le  com- 
mandant de  Mittry. 


210  QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

Et  toutes  ces  histoires  de  Moulin-Rouge, 
quand  on  vient  de  se  marier,  de  se  rema- 
rier; car  le  capitaine  Lebrun-Renault,  au 
contraire  de  ce  que  l'on  aurait  pu  croire, 
est  homme  de  famille. 

Le  Tout-Taïti  a  conservé  le  souvenir  de 
l'enterrement  de  la  première  madame  Le- 
brun-Renault. 

Le  cortège  allait  pénétrer  dans  l'église, 
quand,  dans  le  grand  silence  recueilli,  re- 
tentit un  «  Fixe  !  »  formidable,  lancé  par  Le- 
brun-Renault de  sa  meilleure  voix  de  com- 
mandement. 

Les  assistants  s'arrêtent,  surpris  :  un 
appareil  photographique  est  en  batterie,  à 
la  porte  de  l'église. c. 

Cela  ne  prouve  pas,  certes,  que  Dreyfus 
n'a  pas  fait  d'aveux.  Mais  il  est  regrettable 
que  le  capitaine  Lebrun- Renault  n'apporte 
pas  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  publi- 
ques le  même  souci  que  dans  ses  affaires 
intimes.  La  voix  de  Dreyfus  et  son  geste 
valaient  bien  d'être  l'un  phonographié, 
l'autre  photographié! 


General  Billut,       Coluiiel  Fl»;ur  Cajjituiuc  Lebrun-Renault, 


13 


QUELQUES   DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     219 


* 

:¥    * 


Le  capitaine  Lebrun-Renault  aime  à  par- 
ler de  Taïti,  beaucoup  trop  même,  comme 
on  pourra  en  juger. 

Dans  le  rapport  du  lieutenant-colonel 
Guérin,  sur  la  parade  d'exécution  du  5  jan- 
vier 1895  et  sur  la  déclaration  faite  par  l'ex- 
capitaine  Dreyfus,  avant  sa  dégradation,  au 
capitaine  Lebrun-Renault,  on  lit  : 

((  Cet  officier  nous  dit  alors  qu'il  avait 
»  causé  avec  Dreyfus  de  TAHITI,  lieu  où  il 
»  serait  probablement  envoyé,  lui  en  avait 
»  vanté  le  climat  qui  conviendrait  très  bien 
))  à  sa  femme  et  à  ses  enfants,  s'il  pouvait  les 
»  y  faire  venir.  Cette  idée  lui  avait  souri  ». 

A  Rennes,  le  capitaine  Lebrun-Renault 
dépose  : 

«  Ainsi  nous  avons  parlé,  par  exem- 
»  pie,  du  lieu  de  déportation  où  il  aurait 
»  pu  être  envoyé;  je  lui  ai  parlé  de  la 
»  NOUVELLE-CALEDONIE  parce  que... 
»  etc.» 


220  QUELQUES  DESSOUS 

En  1895,  c'est  TAHITI. 
En  1899,  c'est  la  NOUVELLE-CALÉDO- 
NIE. 

Il  y  a  des  esprits  qni  a  battent  la  cam- 
pagne »  ;  la  mémoire  dn  capitaine  Lebrun- 
Renanlt  peut  être  jngée  bien  vagabonde. 

Et  c'est  sur  elle,  si  mouvante,  que  se  sont 
appuyés  des  millions  de  gens...  la  légende 
des  aveux  ! 


,1=  ^ 


Le  général  Mercier 
et  le  commandant  Galopin, 

Que  le  général  Mercier  ait  tiré  tout  ce 
qui  se  pouvait  de  pareils  témoins,  nul  ne  le 
chicanera  là-dessus.  Mais  il  est  au-dessus 
de  tout  éloge  pour  la  manière  même  dont 
il  sut  manier  les  témoins  de  la  défense. 

Le  commandant  Galopin,  l'inventeur  de 
tourelles  des  forts  de  l'Est,  qui  possède 
tous  les  secrets  du  a  génie,  »  comme  le 
commandant  Ducros  possède  tous  ceux  de 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  22i 

Tartillerie,  était  en  1894  au  service  des 
cuirassements.  Il  sortait  souvent  avec 
Dreyfus,  qui  ne  lui  demanda  jamais  rien. 

Au  moment  du  procès,  Esterhazy  en  97- 
98,  le  commandant  Galopin  devant  té- 
moins, concluaient  tous  deux  à  l'inno- 
cence de  Dreyfus  !  Gomment  cet  espion 
n'aurait-il  pas  utilisé  ses  relations,  etc.  ! 

A  Rennes,  la  défense  fait  donc  citer  le 
commandant  Galopin,  qui  dira  que  le  capi- 
taine Dreyfus  ne  l'a  pas  plus  interrogé  sur 
le  génie  qu'il  n'a  interrogé  le  commandant 
Ducros  sur  l'artillerie. 

Le  commandant  Galopin  arrive  à  Rennes. 
Il  est  entrepris  par  le  général  Mercier.  Oh! 
le  commandant  Galopin  répète  à  la  barre 
ce  qu'il  a  toujours  dit  sur  la  discrétion  de 
Dreyfus.  Mais,  à  la  stupéfaction  de  ses 
amis,  à  qui  il  n'a  jamais  parlé  de  cela, 
voici  qu'il  raconte  que  dans  un  de  leurs  re- 
tours ensemble,  Dreyfus  lui  a  dit  avoir 
sous  sa  serviette  des  papiers  secrets  pour 
le  service  géographique. 

Le  fait  est  si  insignifiant  que  le  comman- 


222  QUELQUES  DESSOUS 

dant  Galopin  n'y  attachait  ancune  impor- 
tance, pnisque  cela  ne  l'avait  pas  empêché 
jadis  de  croire  à  l'innocence... 

Comment  ce  fait,  enterré  dans  la  mé- 
moire du  commandant  Galopin  jusqu'en 
1898,  est-il  exhumé  en  1899?  C'est  que  le 
général  Mercier  a  aidé  à  la  résurrection. 

—  Dans  ces  trajets,  commandant  Galo- 
pin, Dreyfus  vous  parlait  bien  de  quelque 
chose,  et  du  service? 

Et,  orienté  par  Mercier,  le  commandant 
Galopin  retrouvait  cela,  qui  prenait  une 
signification  soudaine!  Mais  y  était-ce  bien, 
dans  sa  mémoire,  ou  cela  n'y  avait-il  pas 
éclos  artificiellement! 

Le  général  Mercier  sait  accoucher  les 
âmes. 


Lf^  général  Mercier 
et  les  membres  du  Conseil  de  guerre 
de  1894. 

Quelquefois,  il  y  faut  les  fers. 


DU  PROCES  DE  RENNES  223 

Mais,  opérateur  hardi,  le  général  Mer- 
cier ne  recule  pas  devant  les  moyens  vio- 
lents :    on  l'a  bien  vu  en  1894. 

La  déposition  du  capitaine  Freysteetter, 
la  confrontation  avec  le  colonel  Maurel, 
poussaient  le  général  Mercier  au  seuil  du 
bagne. 

Immédiatement,  il  dépêche  chez  deux 
juges  de  1894  le  colonel  Eychmann  et  le 
commandant  Gallet,  deux  exprès  :  le  com- 
mandant de  Mitry  et  d'Aboville  :  évidem- 
ment les  témoins  n'étaient  pas  «  au  ser- 
vice »  de  l'accusé. 

(La  réponse  est  plutôt  dangereuse,  d'ail- 
leurs, pour  le  général  Mercier  :  les  deux 
juges  «  ne  pourraient  affirmer  sous  la  foi 
du  serment  que  la  dépêche  Panizzardi  ne 
s'y  trouvait  pas  !  ») 

Les  commandants  Roche  et  Patron  re- 
çurent aussi  doS  lettres  ou  des  émissaires 
du  général  Mercier. 


224  QUELQUES  DESSOUS 


Le  commandant  IIarlma)in 
et  le  colonel  Meert. 

Cette  action  sur  les  témoins,  pour  ou 
contre,  ne  s'exerçait  pas  qu'à  l'audience. 
Comment,  tour  à  tour,  par  la  menace  ou 
la  promesse,  on  tenta  d'enrayer  Picquart, 
c'est  connu  de  tous.  A  peu  près  de  même 
manière,  on  essaya  d'entraver  le  comman- 
dant Hartmann  lors  de  sa  déposition  à  la 
Cour  de  cassation.  La  veille  de  sa  seconde 
déposition,  son  colonel,  Meert,  lui  fait 
entendre  que  déposer  comme  témoin  de 
la  défense,  c'est  agir  contre  l'armée. 
Qu'est-ce  que  le  commandant  Hartmann 
pourra  dire ,  d'ailleurs ,  en  faveur  de 
Dreyfus,  condamné  par  sept  camarades, 
approuvés  par  cinq  ministres  de  la  guerre. 
En  son  étude  des  points  du  bordereau,  le 
colonel  Meert  applique  les  arguments  fu- 
turs du  général  Deloye.  —  Déjà,  on  s'était 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  225 

ému  à  la  3^  direction  de  la  première  déposi- 
tion du  commandant  Hartmann,  du  17  jan- 
vier —  et  on  n'attendait  pas  la  seconde 
pour  agir...  Dès  le  26  janvier,  à  la  Chambre 
criminelle,  le  commandant  Cuignet  an- 
nonçait que  le  ministre  de  la  guerre  enver- 
rait une  note  faite  par  le  service  compétent  d,^\\\ 
de  fixer  les  dates  des  essais  du  canon  de 
120  court,  la  date  de  son  adoption  défini- 
tive et  toutes  les  questions  qui  peuvent  se 
rapporter  à  cet  ordre  d'idées. 

Après  la  publication  de  l'enquête  par  le 
Figaro,  le  commandant  Hartmann  fut  en 
butte  aux  blâmes  les  plus  discourtois  de  la 
part  du  colonel  Meert.  Celui-ci  lui  reproche 
d'avoir  agi  contre  les  chefs  et  contre  les 
camarades,  d'avoir  manqué  de  bon  sens, 
d'avoir  failli  à  ses  devoirs. 

Une  autre  fois,  le  colonel  Meert  inflige 
de  nouveau  les  appréciations  les  plus 
virulentes  à  son  subordonné. 

Enfin,  le  colonel  Meert  prévenait  le  com- 
mandant Hartmann  que  beaucoup  d'officiers 
refuseraient  de  se  faire  photographier  dans 


226  QUELQUES  DESSOUS 

le  groupe  du  régiment,  s'il  devait  y  figurer. 

Quelques  jours  avant  ce  propos,  le  colo- 
nel Meert  s'était  entretenu  avec  le  général 
Deloye,  au  sujet  de  la  déposition  du  com- 
mandant Hartmann. 

Voilà  bien  des  choses  expliquées. 


A  Rennes,  le  commandant  Hartmann  fut 
avec  le  lieutenant-colonel  Picquart  le  té- 
moin sur  qui  grêlaient  furieusement  les  : 
crapule^  misérable,  canaille  du  général  de 
Saint-Germain. 

Du  lieutenant-colonel  Picquart  et  du 
commandant  Hartmann,  le  colonel  Jouaust 
disait  : 

—  Hs  font  de  l'obstruction. 

Pour  lui,  c'étaient  des  insurgés. 


J/.  d'Orval 
Certains   cas    exigeaient  le   plus  souple 


DU  PROCES  DE  RENNES  227 

doigté  ;  le  jeu  du  général  Mercier  fut  d'une 
variété,  d'une  agilité,  d'une  virtuosité  ma- 
gistrale, en  ce  qui  concerne  M.  d'Orval. 

Le  général  Mercier  osait  vouloir  démon- 
trer que  le  Syndicat  avait  tâtonné,  avant  de 
jeter  son  dévolu  sur  Esterhazy,  en  cherchant 
un  remplaçant  à  Dreyfus  parmi  les  officiers 
dont  le  nom  commençait  par  D.  Il  en  citait 
jusqu'à  trois,  notamment  le  capitaine 
d'Orval,  dont  le  nom  débute  d'ailleurs  par 
un  0.  Mais  cet  officier  avait  été  l'objet  d'une 
filature  de  plusieurs  années  —  que  le  co- 
lonel Picquart  avait  dû  suivre.  Et  le  colonel 
Picquart  travaillait  pour  le  Syndicat,  évi- 
demment. Or,  c'est  par  Du  Paty  de  Clam 
que  M.  d'Orval  avait  été  dénoncé,  soumis 
à  là  surveillance,  que  M.  le  généralJZur- 
linden  avait  recommandé  au  colonel  Pic- 
quart de  continuer... 

C'est  miracle  que  M.  d'Orval  ait  échappé 
à  l'arrestation,  après  les  suspicions  créées 
autour  de  lui  par  son  parent  Da  Paty,  après 
les  notes  glissées  aux  dossiers  du  minis- 
tère, qui  l'ont  fait  surveiller  trois  ou  quatre 


228  QUELQUES  DESSOUS 

ans,  et  lui  ont  mémo  valu  les  honneurs 
d'un  agent  spécialement  attaché  à  ses  pas, 
lors  d'un  voyage  en  Russie,  aux  fêtes  du 
couronnement  ! 

Néanmoins,  M.  d'Orval  s'est  vu  ohligé 
de  quitter  l'armée. 

Et  c'est  M.  d'Orval  qui  avait  remarié  son 
cousin  Du  Paty,  pauvre,  veuf  avec  enfants, 
à  mademoiselle  M**'^,  jeune,  jolie  et  riche. 
Quelques  mois  après  son  mariage.  Du  Paty 
plaçait  auprès  de  M.  d'Orval,  comme 
valet  de  chamhre,  un  agent  secret  du  mi- 
nistère de  la  guerre.  M.  d'Orval  avait 
épousé  une  étrangère,  de  Prague. 

C'est  l'union  avec  «  cette  bohémienne  » 
qui  fit  lever  les  soupçons  du  gentilhomme 
Du  Paty  !  Les  pires  avanies,  naturellement, 
venaient  humilier  M.  d'Orval,  persécuté 
ainsi  jusqu'en  1899  où  M.  de  Freycinet 
clôt  l'affaire  et  atteste  ])ar  écrit  l'inanité  de 
ces  soupçons. 

M.  d'Orval  est  le  premier  à  s'estimer  heu- 
reux d'en  être  quitte  à  si  léger  tarif.  Il 
avoue  qu'il  y  a  contre  lui  des  présomptions 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  229 

autrement  graves  que  celles  émises  par 
Mercier  contre  Dreyfus.  Par  exemple,  ses 
relations  avec  Scliwartzkoppen  :  le  hasard 
les  avait  fait  voyager  de  Marseille  à  Tunis, 
et  séjourner  en  Tunisie,  ensemble.  Et 
M.  d'Orval  a  reçu,  entre  autres,  un  petit 
bleu  de  l'attaché  allemand  ainsi  conçu  : 

«  Je  passerai  chez  vous^  demain  matin,  à 
dix  heures.  Nous  irons  ensemble  porter  votre 
paquet  à  l'ambassade  d'Autriche.  Amicalement 
à  vous.  —  Schwartzkoppen.  » 

Ah  !  si  cela  était  tombé  aux  mains  d'Henry 
ou  de  Du  Paty  ! 

Pourtant,  c'était  simple.  M.  d'Orval  vou- 
lait expédier  à  des  officiers  autrichiens,  en- 
vers qui  il  avait  des  obligations  mondaines, 
un  souvenir.  Il  ne  se  rappelait  pas  la  rési- 
dence du  régiment.  M.  de  Schwartzkoppen 
devait  la  lui  faire  connaître,  par  son  col- 
lègue autrichien. 

Mais  quelles  conséquences  possibles  avec 
interprètes  des  bureaux  de  l' Etat- 
Major  ! 

Cependant,  à  Rennes,  le  général  Mercier 


230  QUELQUES  DESSOUS 

ayant  faii  éial  de  la  filature  d'Orval  contre 
le  colonel  Picquart  —  alors  qu'il  savait  per- 
tinemment qu'elle  émanait  de  Du  Paty,  — 
M.  d'Orval  est  accouru,  a  même  rédigé  sa 
demande  d'audition  au  colonel  Jouaust... 
et  ne  l'a  pas  envoyée... 

Pourtant,  ses  sentiments  ne  pouvaient 
être  douteux  à  l'égard  du  général  Mercier 
qui,  après  avoir  chassé  chez  lui  chaque 
année  depuis  longtemps,  dans  l'hiver  1895- 
189G,  lui  refusait  la  main... 

Après  l'accueil  le  plus  empressé  de  ceux 
qui  l'avaient  évincé  de  leur  monde,  ignomi- 
nieusement, et,  maintenant,  le  cajolaient, 
en  faisaient  une  victime  du  Syndicat, 
M.  d'Orval,  au  bout  de  deux  jours,  repre- 
nait le  train...  remportait  la  vérité  qui 
avait  failli  pénétrer  à  l'audience,  et  que  le 
général  Mercier  avait  escamotée,  sur  le 
seuil,  encore  ! 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  231 


Réglette  et  Réglette, 

Cette  fois,  cela  lient  de  la  prestidigita- 
tion. Il  y  fallait  des  compères.  Le  général 
Mercier  n'en  manquait  pas.  Voici  le  coup 
de  la  réglette  : 

Le  lieutenant  Bernlieim  avait  déposé 
qu'il  avait  prêté  une  réglette  de  correspon- 
dance (non  réglementaire,  comme  en  avait 
fait  construire  son  capitaine  Graveteau)  à 
Esterhazy  —  qui  ne  l'a  jamais  rendue.  Le 
capitaine,  devenu  commandant,  Graveteau, 
confirme  les  faits  par  lettre  à  Bernlieim. 

Le  commandant  Hartmann  précise  que  : 

«  Le  projet  de  Manuel  de  tir  se  comprend 
sans  réglette  de  correspondance,  mais  la 
réglette  de  correspondance  ne  se  conçoit 
pas  sans  Manuel. 

»  Si  donc  il  était  démontré  qu'un  officier 
d'une  des  catégories  en  cause  s'est  procuré 
en  1894  une  réglette  de  correspondance,  on 


232  QUELQUES  DESSOUS 

devrait  en  conclure  que  certainement  il  a 
eu  à  sa  disposition  la  même  année  un  projet 
de  Manuel.  » 

Donc,  la  conclusion  s'imposait  qu'Ester- 
hazy,  ayant  emprunté  la  réglette,  s'était 
aussi  procuré  le  Manuel. 

Or,  le  général  Mercier  remet  au  Conseil 
une  réglette,  pour  démontrer  qu'il  n'y  a  pas 
corrélation  indispensable  entre  la  réglette 
et  le  Manuel. 

En  effet,  ce  n'est  pas  la  même  que  celle 
dont  parlait  le  lieutenant  Bernheim. 

Il  ne  la  reconnaît  pas.  Et  Mercier 
triomphe.  Il  la  tient  du  commandant  Gra- 
veteau  lui-même,  avec  qui  il  s'était  abouché. 

Est-ce  Graveteau  qui  a  joué  un  double 
rôle  ? 

Est-ce  Mercier  qui  a  changé  les  ré- 
glettes ? 

Le  Conseil  n'y  a  vu  que  du  feu. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  233 


jiï  H< 


M.  Bertulus  et  Madame  Henry. 

Un  témoignage  considérable,  et  qu'il 
n'était  pas  facile  d'annihiler,  c'était  celui 
du  juge  d'instruction  Bertulus.  C'est  qu'ici, 
les  brimades,  les  quarantaines  ne  pou- 
vaient rien.  Contre  les  militaires,  on  avait 
la  ressource  de  mobiliser  des  hommes  de 
bonne  volonté,  dont  la  mémoire  s'illumi- 
nait sur  un  désir  des  grands  chefs... 

Ici  l'on  était  désarmé. 

Cependant,  on  ne  pouvait  tolérer  que, 
seul  des  témoins  delà  défense,  M.  Bertulus 
pût  accomplir  sa  tache  sans  encombre. 
Ces  messieurs  de  l'Etat-Major  sauraient 
bien  lui  ménager  un  chien  de  leur  chienne. 

M.  Bertulus  achevait  sa  déposition, 
quand  madame  Henry  demande  la  parole 
pour  jeter  à  la  barre  : 

—  Cet  homme  est  bien  le  Judas  que 
j'avais  pensé. 


234    QUEF.OUES   DESSOUS  DU  PROCÈS   DE  RENNES 

Mais  dans  le  scénario  élaboré  depuis 
longtemps,  la  scène  à  faire  ne  devait  pas 
s'arrêter  là.  Madame  Henry  devait  en  venir 
aux  voies  de  fait,  et  tirer  la  moustache  de 
M.  Bertulus. 

M.  Bertulus.  —  ...  La  scène  qui  vient 
d'avoir  lieu  maintenant  n'est  pas  une  scène 
qui  soit  spontanée.  Elle  était  convenue. 
J'en  ai  été  averti  ce  matin,  en  arrivant  à 
cette  audience.  Voici  la  lettre  qui  m'a  été 
remise,  me  prévenant  que  je  serais  inter- 
pellé de  la  façon  que  vous  venez  de  voir. 
Voici  cette  lettre;  je  vous  la  remets. 

Madame  Henry.  —  En  effet,  j'avais  pré- 
médité d'interpeller  M.  Bertulus,  etc. 


Cette  lettre,  remise  par  M.  Bertulus,  le 
président  Jouaust  s'est  empressé  de  ïétouf- 
fer. 

Elle  n'a  pas  été  lue. 

Elle  était  de  M.  H.  Ghanloup  à  M.  le  ca- 
pitaine Moch;  elle  avertissait  du  coup  pré- 


6 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS   DE  RENNES     237 

médité  de  madame  Henry  —  dont  on  s'en- 
tretenait  au  Cercle  militaire  à  Paris,  deux 
jours  avant  qu'il  eût  lieu,  dans  une  con- 
versation à  laquelle  participait  le  général 
Chanoine. 


3P  Anjfray  et  Savignaud. 

Avant,  pendant,  après,  c'est  tout  le  temps 
que  les  témoins  étaient  dirigés,  maniés  et 
remaniés. 

Savignaud,  pendant  la  déposition  de 
M.  Trarieux,  demande  s'il  peut  se  retirer. 

Accordé. 

Et  voici  qu'après  coup,  il  fait  prendre 
acte  de  ce  qu'il  a  été  appelé  «  imposteur  ». 
Ce  qui,  sur  le  moment,  ne  l'avait  pas 
cruellement  touché. 

Mais  un  avocat  de  Rennes  et^M^  Aufïray 
n'avaient  pas  voulu  le  laisser  partir  ainsi. 
Et  l'honnête  Savignaud,  qui,  malgré  tout, 
aurait  préféré  être  loin,  dut  faire  machine 


238  QLELQUES  DESSOUS 

arrière,  pour  confondre  ses  accnsateurs. 
C'est  un  rien.  Mais  des  riens  savamment 
exploités,  ensuite,  auprès  des  membres  du 
Conseil  de  guerre.  Et  peut-être  qu'un  rien 
aussi  leur  suffisait  pour  prouver  l'excellence 
du  témoignage  de  Savignaud  qui  devait 
trouver  l'oreille  du  tribunal,  contre  un 
Trarieux,  un  momieiir  Picquart. 


Et  la  tendresse  de  l'Élat-Major  s'épan- 
dait  aussi  sur  les  envoyés  de  Quesnay  de 
Beaurepaire.  L'honneur  de  l'armée  ne  s'op- 
posait pas  à  ce  que  le  colonel  Fleur  ser- 
vît d'ordonnance  aux  plus  vagues  Cer- 
nuçky  (i)... 

(1)  Un  autre  individu,  à  qui  Rennes  faisait  fête,  a  eu 
des  malheurs  judiciaires,  depuis  le  procès.  C'est  le 
camelot  Olil,  merveilleux  camelot. 

Il  était  excessivement  propre,  soigné,  bien  habillé. 
Veston  croisé  neuf,  casquette  de  capitaine  de  vaisseau 
avec  galons  d'or  et  brodées  or  les  lettres  :  L'Amtijuif. 
—  Il  arrivait  très  affairé,  sec,  avec  les  mouvements 
d'un  épileptique,  presque  courant,  s'arrêtait  net, 
réunissait  les  talons,    faisait  le   salut   militaire,  puis 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  239 


Cermiçky, 


Gerniiçky  !    Un    témoin    bien    français, 
comme  les  exigent  nos  nationalistes.  Il  est 


commençait  son  débit,  répétant  constamment  sur  le 
même  ton  :  le  Drapeau...  le  Drapeau...  le  Drapeau. 

Il  allait  ainsi  de  café  en  café,  de  table  en  table,  de 
terrasse  en  terrasse,  très  poli,  toujours  militaire  et 
saccadé. 

Sa  vente  était  énorme  ;  dans  les  rues  on  faisait 
cercle  autour  de  lui. 

Décoré  du  ruban  tricolore. 

« 

On  lit  dans  les  journaux  : 

Un  Patriote. 

«  On  se  souvient  encore,  à  Rennes,  de  ce  camelot 
qui,  pendant  le  procès  Dreyfus,  se  promenait  à  grands 
pas  à  travers  les  rues,  frappant  sur  ses  paquets  de 
journaux  et  criant  à  tue-tête  :  «  Demandez  V Antijuif, 
»  demandez  le  Drapeau,  demandez  le  Drapeau,  organe 
))  des  patriotes.  )^ 

»  Ce  triste  personnage,  si  patriote,  nommé  Ohl,  est 
un  sujet  belge,  sergent  déserteur,  dont  le  casier  judi- 
ciaire est  orné  de  quarante-deux  condamnatiOxNS.  Coiffé 
de  sa  casquette  où   brille   en   lettres  d'or  le  nom  de 


240    QUELQUES   DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 

entendu,  sans  qu'on  ait  cherché  sur  lui  le 
moindre  renseignement  !  Des  renseigne- 
ments, à  quoi  hon  !  Le  commissaire  du 
gouvernement  s'en  soucie  peu  :  «  Prendre 
des  reriseignenients  pour  affaiblir  la  valeur  d'un 
témoignar/e  1  »  comme  il  s'exclamait  à  propos 
de  du  IJreuil  !  Les  renseignements,  on  les  a 
eus,  mais  trop  tard!  Le  véreux  rastaquouère 
avait  témoigné.  Par  conséquent,  sa  parole 


VAntijuif,  il  a  coiiiparu  devant  le  Tribunal  de  Rennes 
sous  plusieurs  chefs  d'accusation  : 

)). /"  Le  8  septembre  1899,  a  Rennes,  vol  cVun  foulard 
et  cVune  scrvicltc  de  toilette  appartenant  à  M.  Rault, 
aubergiste,  jilace  Sainte- Anne,  lo; 

»  2^  Le  même  jour  tentative  de  vol  de  l'argent  contenu 
dans  le  coffre-fort  du  même  aubergiste  ;     - 

»  5^  Port  illégal  de  la  médaille  de  sauvetage,  dont  il 
na  jamais  été  décoré  ; 

»  4-°  Lifraction  à  un  arrêté  qui,  comme  Belge  et  repris 
de  justice.  Va  cxp)uhé  de  France  ; 

»  0°  Lisultes  à  un  témoin. 

»  Ajoutons  que  dans  une  lettre  écrite  au  Patriote 
breton,  par  cet  individu  digne  en  tous  points  de  repré- 
senter le  nationalisme,  on  lit  cette  phrase  : 

u  Patriote  moi-même,  je  ne  crois  pa^'  avoir  nui  à  la 
cause  sacrée.  » 

Ohl  a  été  condamné  à  quatre  mois  de  prison,  et  il 
sera  expulsé  après  l'accomplissement  de  sa  peine. 


M,  Ceruuçki  et  M.  Bonnamaur 


14 


QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES     243 

a  pu  peser  sur  les   décisions  du  Conseil  ! 

Dès  que  le  nom  de  M.  de  Cernuçky- 
Lazarowitch  a  été  publié  par  les  journaux, 
de  France,  de  l'étranger,  ce  n'a  été  qu'un 
toile  contre  ce  gentilhomme  nomade.  Les  ré- 
clamations et  les  additions  grêlaient  de  par- 
tout. On  ne  peut  relever  toutes  les  plaintes. 
Notons  celles  AeV  Hôtel  continental  àe  Paris, 
pour  cinq  mille  deux  cents  francs.  A  la  date 
du  20  décembre,  sa  femme  formula  contre 
lui  une  requête  en  séparation  de  biens. 

Ce  fut  le  dernier  témoin  entendu  au 
procès  de  Rennes  en  vertu  du  pouvoir  discré- 
tionnaire du  colonel  Jouaust. 

C'était  bien  finir,  par  un  témoin  repré- 
sentatif, digne  de  la  collection. 


Le  réquisitoire. 

Le  fleuve  d'immondices  cessa  de  couler. 
Les  débats  finissaient,  et  la  parole  fut  à 
l'invraisemblable  Carrière. 


244  QUELQUES  DESSOUS 

Le  morceau  est  célè])re. 

L'état  d'esprit  du  eommissaire  Carrière, 
depuis,  est  moins  connu. 

Tout  en  persévérant  dans  ses  études  de 
droit,  —  il  vient  d'être  reçu,  session  de 
novembre,  à  la  limite,  minorité  de  faveur, 
—  le  commissaire  Carrière  bavarde  vo- 
lontiers : 

—  Ainsi,  mon  commandant,  vous  conti- 
nuez à  imputer  au  colonel  Picquart  la  dé- 
sorganisation du  service  des  renseigne- 
ments? Mais  le  général  Zurlinden  nous  a 
déclaré  que  le  colonel  Picquart  n'avait 
pas  écrit  le  petit  bleu.  Et  une  enquête, 
réclamée  par  le  colonel  Picquart,  a  dé- 
montré la  parfaite  honnêteté  de  sa  ges- 
tion... 

—  lieu  !  qu'en  sait-il,  le  général  Zurlin- 
den? que  sait  le  conseil  d'enquête?  Je 
ïai  vu,  moi,  le  petit  bleu.  Et  je  vous  jure  que 
je  ny  ai  rien  compris,  et  que  je  lu/  com- 
prends rien  encore l  Croyez-vous,  i)ar  hasard, 
que  si  je  n'avais  pas  été  convaincu  de  la 
culpabilité  de  Dreyfus  j'aurais  requis  contre 


DU  PROCES  DE  RENNES  UXy 

lui?  On  avait  des  preuves  formelles,  con- 
cordantes... 

—  Où  ça  ? 

—  Où  ça?  mais  dans  le  dossier  secret... 
Vous  ne  le  connaissez  pas,  je  suppose? 

—  Ce  que  j'en  connais  me  suffit  pour  me 
faire  une  idée  de  ce  que  je  ne  connais  pas. 
Ce  n'est  pas,  je  pense,  sur  la  pièce  :  Ca- 
im'dle  de  D.,,  que  se  fonde  votre  conviction? 

—  Non...  11  est  certain  que  cette  pièce 
peut  aussi  bien  s'appliquer  à  un  autre... 

—  Pourtant,  vous  en  avez  fait  état  dans 
votre  réquisitoire... 

—  Yous  croyez  ? 

—  J'en  suis  sûr. 

—  C'est  bien  possible...  En  effet,  je  me 
souviens... j'avais  devant  moi  une  note  où 
était  écrit  :  Canaille  de  D...,  et  je...  j'ai  (1)... 

(1  Vérification  faile,  le  commandant  Carrière  n'a  pas 
parié  de  la  pièce  Canaille  de  D...  dans  son  réquisitoire. 
Mais  la  conversation  est  reproduite  ici  telle  que  nous 
la  tenons  de  notre  informateu  r,  dans  l'esprit  duquel 
une  confusion  s'était  produite  au  sujet  de  la  pièce  en 
question.  Il  n'en  est  pas  moins  curieux  de  constater 
que  le  commissaire  du  gouvernement  ait  fait  la  même 

14. 


246  QUELQUES  DESSOUS 

Enfin,  ma  conviction  s'est  faite  pendant 
les  débats...  Tenez,  il  y  a  dans  ce  dossier 
secret  de  quoi  faire  pendre  un  homme... 

—  Mais  ce  dossier  secret,  cependant, 
deux  officiers  du  Conseil  de  guerre  avaient 
opiné  pour  qu'il  fut  examiné  en  public... 

—  Ah  !  oui,  s'écrie  le  commandant  ! 
C'étaient  deux  idiots,  qui  revenaient  du 
camp  de  Coëtquidan,  où  ils  avaient  lu  des 
journaux  absurdes. 

Et  le  commandant  Carrière  reprend  la 
lecture  interrompue  de  son  Gaulois  quoti- 
dien... 


(Quatre  officiers  du  conseil  de  guerre  sont 
allés  au  camp  de  Coëtquidan  :  Beauvais, 
Merle,  Parfait  et  de  Bréon.  Mais  on  croit 
pouvoir  affirmer  que  le  commandant  Car- 
rière visait  plutôt  Beauvais  et  Parfait  alors 
soupçonnés  d'être  favorables  à  l'accusé.) 

confusion.  D'ailleurs,  dans  le  réquisitoire  du  comman- 
dant Carrière,  une  pièce  est  citée  où  se  trouve  l'initiale 
D.  (Voir  compte-rendu  analytique  ) 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  247 


* 
*    ^ 


LA  DEFENSE 

La  bande  compacte  des  «  Chargeurs  réu- 
nis »  ne  trouva  devant  elle  qu'une  défense 
dissociée,  paralysée. 

La  tactique  de  la  courbette  aux  juges  du 
Conseil  de  guerre,  et  de  l'éponge  aux  gre- 
dins  de  l'Etat-Major  devait  prévaloir. 

L'assassin  de  ]\P  Labori  n'eut  pas  de 
plus  sûrs  complices  que  les  partisans  de  la 
paix  à  tout  prix. 

M^  Labori  s'était  remis  de  sa  blessure. 
Il  ne  se  rétablit  pas  de  son  absence  aux 
débats. 

Les  malins  de  la  presse  et  de  la  politique 
avaient  remarqué  tout  de  suite  que  tout  se 
passait  bien  gentiment,  quand  M^  Labori 
n'était  pas  là.  Plus  d'incidents  d'audience, 
plus  de  dialogues  violents  à  la  barre,  plus 
de  témoins  poussés  à  bout,  plus  de  heurts, 
plus  de  secousses  !... 


248  QUELQUES  DESSOUS 

Quelle  sérénité  chez  les  juges!...  Et  voilà 
que  ressuscitait  le  trouble-fète... 

Il  exaspérait  le  général  Mercier,  le  pré- 
sident Jouaust  .. 

Et  ses  amis  lui  tiraient  dans  le  dos, 
comme  l'homme  du  quai  de  la  Vilaine... 
Et,  pourtant,  puisque  c'est  M*^  Labori  qno/i 
redoutait,  puisque  c'est  M  '  Labori  dont  on 
voulait  se  débarrassser,  c'est  M'  Labori 
qu'il  fallait  garder... 

«  Que  Labori  se  taise  et  c'est  Tacquitte- 
ment  »,  voilà  ce  qui  s'écrivait,  à  peu  près, 
dans  des  lettres  auJori^sées  de  Paris  qui  cir- 
culaient à  l'audience,  passaient  sons  les 
veux  mêmes  de  l'avocat. 

Et  comme  après  deux  ans  de  peines  et  de 
luttes,  à  la  minute  suprême,  il  ne  voulait 
pas  déserter,  ce  fut  à  peu  près  oflicielle- 
ment,  par  ordre ^  sur  une  démarche  faite 
près  de  lui,  le  dernier  jour,  à  cinq  heures  du 
matin,  qu'il  dut  se  taire,  déposer  les  armes. 

Mathieu  Dreyfus,  la  famille,  les  amis, 
les  tacticiens,  pgari^îes  ou  révolutionnaires, 
tous  opinaient  pour  la  retraite  : 


DU  PROCES  DE  RENNES  249 

—  Tout  crun  coup,  je  me  suis  aperçu 
que  j'étais  tout  seul,  aurait  dit  M'^  Labori... 

Il  u'y  eut  que  Jaurès,  à  la  dernière  mi- 
nute, qui  ne  s'opposait  pas  à  ce  que  Labori 
donnât  l'assaut. 

Tant  mieux  pour  lui.  S'il  avait  parlé, 
on  l'eût  fait  responsable  de  la  défaite.  Et 
les  plus  éloquentes  paroles  n'eussent  pas 
ajouté  à  sa  gloire.  Quoi  qu'il  arrive,  par 
son  courage,  par  sa  foi,  par  son  talent,  par 
le  sans:  versé,  il  demeure  l'avocat  de  la 
vérité,  de  la  justice,  sinon  de  Dreyfus. 

Mais,  répétons  seulement  le  mot  de  Cam- 
bacérès  : 

—  Ce  procès  a  été  jugé  :  il  x'a  pas  été 

PLAIDÉ. 

>P  Démange,  respectueux  et  faible,  est 
allé  si  loin  dans  les  atténuations  des  pires 
forfaits,  que  madame  Henry,  désormais, 
invoque  sa  plaidoirie  pour  défendre  la  mé- 
moire du  faussaire  et  du  traître,  complice 
d'Esterhazy! 

De  là  à  dire  que  M^  Démange  ne  croit 
pas  à  l'innocence  de  Drevfus,  il  n'y  a  pas 


250  QUELQUES  DESSOUS 

loin.  C'est  ce  qui  se  produit  dans  le  milieu 
militaire  à  Rennes,  où  l'on  raconte  que 
M®  Démange  éprouvait  un  tel  dégoût  pour 
son  client  qu'il  n'a  pas  voulu  aller  lui  an- 
noncer la  sentence,  besogne  dont  M''  La- 
bori  a  dû  se  charger  !  !  ! 


^-  * 


Mouches  du  coche. 

11  y  avait  trop  de  gens,  à  Rennes,  dans 
le  prétendu  secret  des  dieux;  des  gens  ren- 
seignés sur  l'opinion  des  juges,  sur  l'opi- 
nion  du   gouvernement,  sur   l'opinion  de 

l'OpiNION. 

Pauvre  ministère  de  l'acquittement  !  Il 
fut  roulé  avec  prestesse  !  Il  n'était  pas  de 
force,  aussi —  c'est  jeune,  ça  ne  sait  pas  !  — 
contre  de  vieux  renards,  des  procéduriers 
endurcis,  des  professionnels  de  toutes  les 
traîtrises,  de  tous  les  crocs-en-jambe,  de 
toutes  les  hontes  bues... 

La   presse  encensait   Jouaust,   escomp- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  251 

tait  l'acquittement  ((  mathématique  »  ;  les 
amis  du  ministère  ruisselaient  d'optimis- 
me... de  Viviani  à  M.  de  Rodays.  Et  Gallif- 
fet  répondait  de  tout  ! . . . 


Le  ministère. 

Au  début,  pourtant,  le  ministère  eût  pré- 
féré une  solution  immédiate  ;  il  avait  le 
droit  strict  de   précipiter   les  choses. 

Le  gouvernement  pouvait  enjoindre  à  son 
commissaire  d'abandonner  l'accusation,  de 
ne  pas  faire  citer  des  témoins. 

Cette  motion,  soutenue  à  un  conseil 
des  ministres,  fut  repoussée. 

Mais  la  défense,  les  partisans  de  Dreyfus 
lui-même,  préféraient  de  larges  débats,  le 
grand  jour,  la  discussion  totale... 

Les  débats  engagés,  le  gouvernement  ne 
devait  plus  intervenir. 

Et  le  général  Mercier,  qui  aurait  dû  être 


252  QUELQUES  DESSOUS 

au  bagne,  et  le  général  Roget,  qui  aurait 
du  être  sous  les  verrous,  purent  évoluer  à 
l'aise  —  avec  le  général  Chamoin  à  leur 
service... 

Comment  le  général  Mercier,  le  général 
Chamoin,  et  Du  Paty  de  Clam,  ne  furent- 
ils  pas  arrêtés,  lorsqu'il  était  prouvé  que 
le  délégué  du  ministre  de  la  guerre  s'em- 
ployait à  glisser  criminellement  au  dossier 
secret  le  faux  fabriqué  par  Du  Paty  de  Clam 
pour  le  compte  du  général  Mercier? 

Le  général  Chamoin  prit  le  train,  lila  au 
ministère  de  la  guerre,  et,  dans  une  entre- 
vue qui  ne  put  être  qu'une  escroquerie 
morale,  arracha  à  Galliffet-Davignon  une 
lettre  qui  le  couvrait... 

Le  général  Chamoin,  un  aide  de  Gallif- 
fet,  en  1871  —  dont  la  lâcheté  et  l'inso- 
lence ne  sont  pas  effacées  de  toutes  les  mé- 
moires. Alors,  il  eut  l'occasion  de  se  mon- 
trer odieux  et  vil,  tout  à  l'aise.  Est-ce  en 
souvenir  de  ces  temps  glorieux  que  le  mi- 
nistre   Galliffet    le    couvre    aujourd'hui  ? 

En  1871,  Chamoin  insultait  des  prison- 


DU  PROCES  DE  RENNES  253 

niers,  dont  Henry  Baûer.  Et  récemment, 
dans  une  soirée,  il  abordait  notre  ami 
ainsi  : 

—  Nous  avons  fait  du  chemin  tous  les 
deux... 

—  Vous  ne  vous  rappelez  pas  ?  le  lieute- 
nant Chamoin? 

Oui,  l'un  a  fait  du  chemin,  le  maître 
écrivain  qui  s'est  battu  pour  toutes  les 
nobles  causes  de  l'art  et  de  la  pensée. 

L'autre  n'a  pas  beaucoup  changé.  Géné- 
ral, il  fait  le  trafic  des  faux  contre  un  ac- 
cusé, comme  sous-lieutenant,  il  bafouait 
les  vaincus. 

Le  lendemain,  le  Conseil  fut  mouve- 
menté, le  tumulte  orageux;  on  s'apercevait 
que  décidément,  Galliffet  avait  l'éponge 
facile...  Mais  c'était  fait...  Pas  à  revenir 
là-dessus... 


Même  chose,  à  peu  près,  pour  le  com- 

15 


254  QUELQUES  DESSOUS 

mandant  Cuignet,  ancien  officier  du  cabinet 
de  Gavaignac. 

Malgré  l'ordre  formel,  le  commandant 
Cuignet,  dans  sa  déposition,  donna  des 
indications  de  nature  à  mettre  en  cause  un 
officier  étranger  chargé  alors  d'une  mission 
diplomatique  en  France. 

Le  ministère,  devant  un  pareil  scandale, 
émit  la  prétention  de  frapper  le  comman- 
dant Cuignet. 

On  dut  essuyer  le  refus  de  Galliffet-Da- 
vignon. 


La  contre-épreuve. 

Un\fait  rétrospectit,  qui  montrera  une 
fois  de  plus  avec  quelle  légèreté  l'État- 
Major  agissait  vis-à-vis  de  l'étranger  — 
tout  en  se  défendant  de  le  mêler  à  nos  af- 
faires, et  tout  en  accusant  les  partisans  de 
la  légalité  de  faire  courir  à  la  France  un 


DU  PROCES  DE  RENNES  255 

risque  de   guerre,  par  la  divulgation  des 
dossiers  secrets. 

On  a  parlé  de  la  contre-épreuve  faite  par 
Sandherr  pour  acquérir  la  certitude  que  le 
chiffre  découvert  par  le  ministère  des  af- 
faires étrangères  était  bien  celui  employé 
par  Panizzardi  dans  la  fameuse  dépêche 
du  2  novembre,  mais  on  n'a  pas  dit  ce 
qu'avait  été  cette  contre-épreuve. 

Voici  : 

Sandherr  envoya  un  émissaire  offrir  à 
Panizzardi  de  lui  livrer  les  noms  des  offi- 
ciers italiens  qui  donnaient  des  renseigne- 
ments aux  officiers  français.  Après  hésita- 
tion^ l'attaché  italien  accepta.  L'homme  lui 
remit  un  rapport  très  étudié  dans  la  rédac- 
tion duquel  les  mots  utiles  à  connaître  figu- 
raient de  façon  à  être  fatalement  employés. 
Panizzardi  n'y  manqua  pas.  Le  chiffre  était 
bien  celui  que  l'on  croyait.  La  traduction 
officielle  de  la  fameuse  dépêche  était  donc 
exacte.  On  exultait. 

Oui  —  mais  dès  le  reçu  de  la  communi- 
cation de  Panizzardi,  de  l'autre  côté  des 


256  QUELQUES  DESSOUS 

Alpes,  on  constata  qu'il  avait  été  dupé,  et 
on  le  lui  télégraphia. 

Cependant,  l'émissaire  se  présenta  pour 
se  faire  payer.  On  devine  l'accueil  de 
Panizzardi.  Mais  l'autre  insistait,  élevait 
la  voix,  menaçait...  L'attaché  prévint  sim- 
plement son  ambassadeur  —  M.  Resmann 
—  qui  fît  la  démarche  nécessaire  —  et  les 
réclamations  cessèrent... 

On  n'avait  pas  envisagé  une  seconde  la 
gravité  des  incidents  diplomatiques  que 
pouvait  soulever  la  découverte,  à  laquelle 
il  fallait  s'attendre  pourtant,  d'une  telle  su- 
percherie. 


* 
*  * 


La  poigne  de  GaUiffet. 

Cependant,  GaUiffet  a  montré  de  la 
poigne  à  l'occasion,  affirment  ses  admira- 
teurs. 

Eh!  les  soldats  qu'il  frappe,  le  plus  gé- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  257 

néralement,  reçoivent  le  coup  sans  trop  de 
douleur... 

On  se  rappelle  qu'il  eut  à  punir  le  géné- 
ral Hartschmidt,  et  le  colonel  de  Saxcé... 

Quelques  jours  après,  comme  le  général 
Peigné  se  présentait  à  lui,  Galliffet  plai- 
santa : 

—  On  n'est  pas  mécontent  de  moi,  hein? 
j'ai  donné  à  Hartschmidt  et  à  Saxcé  ce 
qu'ils  désiraient. 

En  effet,  le  premier  allait  commander  à 
Reims  une  division  double  de  celle  qu'il 
avait,  et  l'autre  était  envoyé  à  Poitiers  — 
qu'il  avait  demandé,  jadis  ! 

Galliffet  n'avait  pas  reconnu  le  général 
Peigné  —  qui  se  fît  reconnaître. 

Embarras  de  Galliffet  —  car  le  général 
Peigné  n'est  pas  de  ce  bord... 


Y 
*  * 


A  la  veille  d'être  mis  en  quaraniaine 
dans  son  régiment,  le  commandant  Hart- 
mann  a  été  nommé   directeur-adjoint   de 


258  QUELQUES  DESSOUS 

l'usine  de  Piiteaux,  avec  succession  éven- 
tuelle. 

Le  Directeur  actuel,  d'après  les  instruc- 
tions du  général  Deloye,  a  refusé  de  lui 
laisser  occuper  ce  poste.  Le  commandant 
Hartmann  était  bien  sous-directeur  de  Pu- 
teaux  —  mais  plus  spécialement  détaché 
au  Mont-Valérien,  où  il  n'y  a  pas  à  propre- 
ment parler  d'ateliers.  D'ailleurs,  ce  poste 
était  précédemment  occupé  par  un  capi- 
taine. 

Le  commandant  Hartmann  n'accepta 
pas. 

Finalement,  il  a  gardé  son  titre.  Mais  il 
a  été  mis  à  la  disposition  du  ministère  du 
Commerce... 


Le  capitaine  Freysttetter,  proposé  quatre 
fois  pour  le  grade  de  commandant,  dont 
une  proposition  spéciale  par  son  chef  hiérar- 
chique, n'est  pas  inscrit  sur  le  tableau 
d'avancement. 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  259 

Mais,  à  la  date  du  28  octobre  dernier, 
il  y  figure  trois  capitaines  sortis  de  Saint- 
Maixent,  plus  jeunes  de  grade,  et  un  capi- 
taine inscrit  après  une  seule  proposition... 

Mais  le  capitaine  Freystsetter  relève  de 
la  marine. 

Rendons  à  M.  de  Lanessan  ce  qui  n'est 
pas  de  GallifTet. 


Les  journaux. 

Les  journaux  turent  absurdes,  les  nôtres, 
c'est  quand  ils  voulurent  composer  avec  les 
juges. 

Alors  qu'il  fallait  aller  de  l'avant,  plus 
que  jamais,  on  temporisa. 

Il  y  eut  une  sorte  de  mot  d'ordre  :  ((  N'at- 
taquez pas  les  juges.  Vous  allez  faire  con- 
damner Dreyfus  î  » 

Les  plus  indépendants  fléchirent.  C'était 
grave,  aussi. 

On  écoutait  les  amis  du  ministère... 


260  QUELQUES  DESSOUS 

Ils  étaient  renseignés,  eux,  n'est-ce  pas? 
La  partialité  brutale  du  président  Jouaust, 
on  prenait  mille  précautions  pour  la  dé- 
guiser. 

C'était  un  bourru,  un  brave  homme,  au 
demeurant... 

Et  les  juges,  quelles  consciences!  Quand 
quelque  Beauvais  posait  une  question, 
l'éloge  ne  tarissait  plus  !  Comme  il  recher- 
chait la  vérité  !... 

Pour  ceux  qui  se  taisaient,  on  notait 
leurs  allées  etvenues,  au  greffe,  où  ils  pâlis- 
saient sur  les  dossiers... 

Et,  pourtant,  n'était-ce  pas  les  condam- 
ner, d'avance,  ces  juges,  que  de  croire  leur 
justice  si  fragile,  leur  balance  susceptible 
de  se  fausser,  sous  l'appréciation  des  jour- 
nalistes ! 


* 

;   * 


Clôture  des  débats. 
Tout   le  long  des    débats,   le  président 


DU  PROCES  DE  RENNES  261 

Jouaust  ne  s'adressa  à  Dreyfus  qu'en  l'appe- 
lant :  ((ACCUSÉ...  » 

A  la  dernière  audience,  après  les  derniers 
mots  de  M^  Démange,  le  président  Jouaust 
a  posé  la  dernière  question  ainsi  : 

—  CAPITAINE  Dreyfus,  avez-vous  quel- 
que chose  à  ajouter  pour  votre  défense  ? 

11  n'est  pas  à  croire  que  ce  soit  un  lapsus. 

En  dérogeant,  in  extremis^  à  son  habitude 
de  quatre  semaines,  le  président  Jouaust 
n'indiquait-il  pas  qu'il  considérait  d'ores  et 
déjà  Dreyfus  comme  acquitté  et  rentré  en 
possession  de  son  grade? 

Le  président  Jouaust  a  voté  l'acquitte- 
ment. 

Ceci  ne  rachète  pas  cela. 

Qu'importe  qu'il  ait  voté  ainsi  —  piih- 
quila  fait  condamne)'  Dreyfus! 

Le  mensonge,  le  faux  témoignage,  le  faux 
n'ont  pas  mérité  une  fois  sa  réprobation. 
Les  pires  délits  d'audience  ont  pu  se  perpé- 
trer impunément  sous  sa  présidence.  Dans 
les  huis-clos,  son  attitude  fut  plus  détes- 
table encore.    Son  pouvoir   discrétionnaire 

15. 


t>62  QUELQUES  DESSOUS 

ne  s'est  exercé  que  pour  refuser  de  poser 
les  questions  capitales  au  général  Mercier 
et  à  ses  complices  —  et  pour  couper  la 
parole  à  la  défense,  sans  danger. 

L'assassin  de  M^  Labori,  du  moins,  lui, 
risquait  sa  peau. 


* 

^   * 


Le  second,  qui  vota  l'acquittement,  est  le 
commandant  de  Bréon. 

Au  restaurant,  à  Dinard,  un  fils  Mercier 
a  dit  : 

—  11  n'y  a  pas  eu  moyen  de  faire  mar- 
cher ce  sale  calotin  de  Bréon. 


—  Un  imbécile  et  une  canaille,  qualifiait 
les  deux  votants  le  colonel  Demolon. 


Les  votes. 
Oh  !   dans  la  chambre  des  délibérations, 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  263 

le  colonel  Jouaiist  se  démenait,  fort  agité 
maintenant!  Gela  peut  même  être  prouvé 
par  un  curieux  recoupement,  méthode  chère 
aux  accusateurs  de  Dreyfus  !  On  le  voyait 
d'une  fenêtre,  en  face. 

Après  la  culpabilité,  on  votait  sur  les 
circonstances  atténuantes. 

Il  y  eut  quatre  voix  pour...  dont  la  voix 
du  colonel  Jouaust. 

L'obtention  des  circonstances  atténuantes 
montre  assez  l'influence  du  président.  Et 
cela  confirme  son  horrible  responsabilité. 

En  quelques  minutes,  il  gagnait  deux 
voix  à  Dreyfus,  celles  du  commandant 
Merle  et  du  lieutenant-colonel  Brongniart 
—  dans  un  discours  où  il  faisait  ressortir 
que  les  deux  voix  de  la  minorité  précédente 
avaient  été  pour  l'innocence  et  non  contre  la 

CULPABILITÉ... 

Il  était  bien  temps. 


* 
*  * 


Le  vacillant  commandant  Merle  —  sur 


264  QUELQUES  DESSOUS 

qui  le  colonel  Jouaust  avait  compté  pour  la 
minorité  de  faveur  —  fut  retourné^  entre  les 
deux  séances  du  dernier  jour. 

Il  avait  abondamment  pleuré,  pendant  la 
suspension  fatale,  en  déjeunant,  avec  un 
ami,  de  son  régiment. 


*  * 


L application  de  la  peine. 

Après  le  vote  sur  la  culpabilité  et  les  cir- 
constances atténuantes,  on  a  discuté  sur 
l'application  de  la  peine. 

Le  colonel  Jouaust  proposa  cinq  ans. 

Le  capitaine  Beauvais,  le  capitaine  Par- 
fait, le  commandant  ProfîUet  se  ralliaient 
à  vingt  ans. 

Et  le  commandant  Profîllet  spécifiait  : 

—  Vingt  ans  en  France,  parce  que,  aux 
colonies,  sa  femme  pourrait  le  rejoindre  — 
et  ce  serait  une  diminution  de  peine. 

Mais  Profîllet  n'est  pas  que  féroce.  Des 
officiers  de  Rennes  dirent  sur  ce  : 


DU  PROCES  DE  RENNES  265 

—  C'est  un  peu  excessif.  Mais  ça  n'a  rien 
d'étonnant.  Profîllet  n'a  rien  compris  au 
procès. 

Il  y  avait  déjà  Carrière  dans  cette  situa- 
tion. Mais  il  n'avait  pas  voix  délibérative 
du  moins! 

Le  lieutenant-colonel  Brongniart  voulait 
dix  ans. 


Il  y  eut  donc  trois  voix  pour  cinq  ans, 
trois  pour  vingt,  une  pour  dix.  On  prit  cette 
moyenne. 


^ 
^  * 


L'attitude  du  capitaine  Beauvais,  que 
l'on  prit  pour  un  désaveu,  à  la  lecture  du 
jugement,  n'aurait  été  encore  que  du  battage^ 
comme  tous  ses  jeux  d'audience. 

S'il  s'est  écarté,  ^'W  ^  décollé  à.Vi  Conseil, 
à  ce  moment,  c'est  par  dégoût,  indignation 
contre  la  minorité. 


266  QUELQUES  DESSOUS 

Aussi,  devant  leurs  camarades,  Beauvais 
et  Parfait  se  tordaient  devant  le  numéro  du 
Siècle^  qui  projetait  un  monument  en  leur 
honneur. 


* 


Le  verdict. 

Dix  ans... 

C'est  le  télégraphiste  de  la  Croix  qui 
sort,  le  premier,  crie  la  condamnation... 

Les  petits  officiers,  qui  commandent  le 
service  d'ordre,  dansent  de  joie... 

On  dit  que  madame  Jouaust  attend  le 
verdict  dans  une  maison  voisine  (1)... 

(1)  Voici  à  titre  de  curiosité,  parmi  les  milliers  de 
télégrammes  qui  ont  couru,  à  la  suite  de  l'arrêt,  quel- 
ques lignes  de  la  reine  d'Angleterre  pour  lui  valoir  les 
injures  nationalistes. 

La  reine  d'Angleterre  avait  chargé  son  ambassa- 
deur de  lui  télégraphier  le  résultat  du  procès  de 
Rennes.  L'ambassadeur  s'est  acquitté  de  sa  mission  et 
voici  quel  a  été  l'accusé  de  réception  de  la  Reine? 
mot  pour  mot,  en  clair  : 

«  Thanks  for  your  télégram  with  the  verdict  against 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  267 


Contre  la  dégradation. 

Tout  de  suite,  le  remords  tourmentait  le 
colonel  Jouaust.  Le  dimanche,  c'est  à  peine 
s'il  reçut  le  général  Mercier.  Il  n'y  eut  pas 
d'entretien.  Un  bref  adieu,  si  sec  que  le 
général  Mercier  confia  aux  amis  qui  l'atten- 
daient en  voiture  : 

—  Il  m'a  presque  mis  à  la  porte...  Je 
suis  sûr  qu'il  n'a  pas  marché... 

Mais  qu'importait  au  général  Mercier, 
désormais  ! 


Le  lundi,  le  colonel  Jouaust  a  rédigé  lui- 

the  poor  martyr.   I  trust  he   will  appeal  against  tliis 
dreadful  sentence. 

V.  R.  I.  » 

«  Merci  pour  votre  télégramme  avec  le  verdict 
contre  le  pauvre  martyr.  J'espère  qu'il  va  appeler  contre 
cette  terrible  sentence. 

»  V.  R.  I.  » 


2G8  QUELQUES  DESSOUS 

même,  de  sa  main,  la  lettre  demandant  que 
Dreyfus  ne  fût  pas  soumis  une  seconde  fois 
à  la  dégradation. 

Il  l'a  signée,  le  premier. 

Il  Ta  portée,  lui-même,  d'abord  chez  de 
Bréon,  en  dernier  lieu  chez  le  capitaine 
Parfait,  qui  racontait  au  Cercle  : 

—  Cette  canaille  a  fini  par  moi,  pour  que 
je  sois  ohligé  de  signer...  Sans  cela,  je  me 
serais  singularisé... 


Récompenses. 

Après  le  procès  de  Rennes,  comme  après 
toutes  les  grandes  manœuvres,  il  y  a  eu 
des  récompenses.  Les  choix  du  général 
Mercier  n'eussent  pas  été  autres  que  ceux 
de  Davignon-GallifFet. 

(Au  début  et  au  cours  de  ces  notes,  j'ai 
rappelé  quelques  décorations,  quelques 
avancements  scabreux.) 

Le  comité  des  Inspecteurs  généraux  d'ar- 


DU  PROCÈS  DE  RENNES  269 

tillerie  a  maintenu  au  tableau  des  candidats 
à  la  Légion  d'honneur,  les  capitaines  Beau- 
vais,  Parfait  et  Valerio. 

(Ce  comité  est  présidé  par  le  général  Gras 
qui  fut  secrétaire  général  de  Gavaignac.  — 
Le  général  Julliard  est  de  ce  comité  —  où 
il  a  soutenu  les  deux  capitaines  de  sa  bri- 
gade.) 

Le  commandant  Garrière  vient  d'être 
proposé  pour  officier  de  la  Légion  d'honneur 
—  sans  doute  pour  avoir  enfreint  à  tant  de 
reprises  les  instructions  du  gouvernement. 


Le  lieutenant-colonel  Picquart  est  tou- 
jours sous  le  coup  de  cinq  ans  de  prison 
pour  avoir  pris  une  consultation  juridi- 
que à  son  ami,  l'avocat  Leblois,  sur  une 
question  de  pigeons  voyageurs. 


270     QUELQUES  DESSOUS  DU  PROCÈS  DE  RENNES 


L  addition. 

Les  frais  du  procès  ont  été  liquidés,  à  la 
charge  du  condamné... 

Les  témoins  de  la  défense  ont  refusé  de 
toncher  l'indemnité  ;  évidemment  ils  sont 
dédommagés  par  le  Syndicat. 

Aux  témoins  civils  il  était  alloué  cent 
sous  par  jonr. 

Les  militaires,  en  plus  de  leur  solde  d'ac- 
tivité et  des  indemnités,  recevaient  :  les 
officiers  subalternes,  douze  francs  par  jour, 
et  les  officiers  d'un  grade  plus  élevé  jus- 
qu'à trois  ou  quatre  fois  plus. 

Mais  il  faut  avouer  qu'ils  en  donnaient 
largement  pour  l'argent. 


FIN 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PrKFACE VII 

Le  choix  de  Rennes 4 

Le  général  Davignon  ;  tenants  et  aboutissants  .  7 

L'atmosphère  de  Rennes .  15 

Les  «  Saint-Germain  » 25 

Le  générai  Julliard  et  le  Cercle 29 

Le  Président  du  Conseil  de  guerre 38 

Le  prestige  de  Tuniforme 43 

Le  Président  ne  sait  rien 47 

Le  Président  ne  veut  rien  savoir 47 

Les  Juges 65 

Le  Commissaire  du  gouvernement 71 

Les  comparses. 75 

Les  grands  chefs 83 

Le  général  Mercier 87 

La  famille  Mercier 91 

Le  général  Mercier  et  Cavaignac 91 


272  TABLE  DES  MATIÈRES 

Une  poignée  de  main 93 

Toujours  des  communications  secrètes 94 

La  brochure 98 

La  broclmre  ;  le  compte  rendu  revisé 100 

La  collusion  en  permanence 133 

Leur  méthode 134 

Le  respect  des  textes 135 

Le  capitaine  de  Somer 139 

Le  général  Mercier  sait  se  taire  à  l'occasion.    .  145 

Le  général  Deloye 149 

Les  comédies  du  huis-clos 153 

Le  général  Deloye  et  le  Manuel 155 

Les  mystères  de  Bourges 157 

A  propos  de  l'obus  Robin 159 

A  propos  du  frein  hydro-pneumatique 160 

Le  général  Roget 163 

L'incident  Bruyerre 173 

L'incident  Freystsetter  . 175 

Le  général  Ghamoin,  pris  la  main  dans  le  dossier 

secret 182 

Le  général  Gonse  et  le  dossier  secret 185 

Le  lieutenant-colonel  Gordier 187 

Le  colonel  Fleur  :  Baba  P^' 188 

Le  capitaine  Besse 195 

Le  capitaine  Lemonnier  . 200 

Le  commandant  Hirschauer 204 

Le  commandant  Rivais 207 

Le  lieutenant-colonel  Bertin-Mourot 208 

Le  capitaine  Valerio 210 

Le  capitaine  Lebrun-Renault 212 

Le  général  Mercier  et  le  commandant  Galopin  .  220 
Le  général  Mercier  et  les  membres  du  Conseil 

de  guerre  de  1894 222 


TABLE  DES  MATIÈRES  273 

Le  commandant  Hartmann  et  le  colonel  Meert.  224 

M.  d'Orval 226 

Réglette  et  réglette 231 

M.  Bertulus  et  madame  Henry       233 

M''  Auffray  et  Savignaud 237 

Gernuçky 239 

Le  réquisitoire 243 

La  défense 247 

Mouches  du  coche 250 

Le  ministère 251 

La  contre-épreuve 254 

La  poigne  de  Gallifîet 256 

Les  journaux 259 

La  clôture  des  débats 260 

Les  votes 262 

L'application  de  la  peine 264 

Le  verdict 266 

Contre  la  dégradation 267 

Récompenses.   . 268 

L'addition 270 


i;;.IlLE   COUN,    IMPRIMERIE   DE   LAGNY   (S.-ET-M.j